mardi 18 janvier 2011

Escalade : Grimper à Presles (Vercors)

Grande, très grande classe

Trois jours d'escalade dans le Vercors, surtout au milieu du mois de janvier quand il n'y a pas un chat, plongent dans un monde fantastique, extraordinaire, un monde de corps à corps avec soi-même, le compagnon de cordée et la paroi qui n'en finit pas de se dresser au-dessus de soi, et qui se perd en-dessous de soi, dans une nature à perte de vue, sauvage et préservée.

Depuis les 2ans et demi que je grimpe, Presles me semblait inaccessible - des grandes voies de 12 longueurs, dans un calcaire vertical voire déversant, empruntant les dièdres et fissures pour les voies anciennes, les dalles interminables pour les nouvelles.

Le fait de partir avec un guide m'a certainement ôté une grande partie du stress: rien à gérer au niveau itinéraire, matos, sécurité dans les rappels, repérage de l'itinéraire de la voie au fur et à mesure que l'on monte - et oui, c'est lui qui grimpe en tête. Non, j'avais juste à me concentrer sur ma petite personne à moi : manger et dormir correctement, me dépatouiller avec l'angoisse de ne pas y arriver.

Premier jour, Nid d'Aigle, une voie assez ancienne, qui débute - sur le topo, et je dis bien: sur le topo - avec un 3+, puis un 4c !!! Et pourtant, c'est du vertical d'emblée, et je me demande ce que va réserver comme surprise le 6a indiqué, et qui sera à venir dans l'avant-dernière longueur, en dévers.
D'emblée, j'ai zéro force dans les bras pour ce début de voie, qui, heureusement, est au soleil ce matin. Un soleil rasant les belles crêtes du Vercors, nous sommes presque en t-shirt - et surtout seuls, personne, pas d'autre cordée, le silence intégrale avec juste le murmure de la Bourne qui coule dans la gorge au fond de la vallée. Heureusement mes bras, mon corps se délient au fur et à mesure que je monte. Dièdre artistique, fissure en surplomb, c'est une voie bien physique mais splendide. Un peu patinée, mais pas trop lisse tout de même. Nous finissons à 15h00 de l'après-midi, et je suis assez impressionnée d'avoir pu me faire au rythme, au tempo, au style de cette belle falaise, au moins ce premier jour.
Le soir, je m'invite chez ma belle soeur qui habite Villard-de-Lans, et toute la belle famille se réunit, et me fait un peu la fête, je dois le dire. Très bon dîner, malgré un renoncement à l'alcool total de ma part, bonne ambiance familiale. Merci à eux ! Je rentre tôt, pour pouvoir dormir, en empruntant la route sinueuse des gorges de la Bourne. Quel coin, ce Vercors !

Le lendemain, une voie bien plus récente, Shesep Ankh, avec un accès un peu compliqué, et qui débute par des rappels impressionnants, en fil d'araignée, dans la voie Torquémada. Puis marche d'approche dans un terrain raide et vague, sans véritable lisibilité jusqu'au début de la voie qui est indiqué avec un os au bout d'une cordelette. Heureusement le nom de la voie signifie plein de bonnes choses (l'image vivante d'une déité, ankh étant la clé de la vie), sinon j'aurais quelques peurs supplémentaires. Car les cotations, bien que plus "fiables" par rapport aux standards des récentes années, vont entre le 6a jusqu'au 6b+. Mais je m'y lance, l'équipement est tout neuf et abondant, et le style d'escalade se fait souvent sur dalle, même si des fissures athlétiques d'impliquent pas mal. Mais j'ai la patate, c'est le deuxième jour (toujours plus facile pour moi), le temps est extraordinaire, et la cordée que nous formons est vraiment bien synchro dans les manips diverses. A un moment, je me suis ouvert un doigt, il y a du sang partout où je passe, mais en fait, je suis tellement concentrée que je ne m'en rends même pas compte.
Le guide sait je ce que je suis capable de faire - et du coup je sors la voie sans tricher, sans tirer aux clous, même si je glisse par moments dans les passages les plus durs. J'en suis assez contente, car c'est l'une des plus belles voies que j'ai faites, homogène et bien aérienne aussi, avec des relais majestueux, où le bas de la falaise se dérobe au regard puisque la paraoi est déversante.

Le troisième jour, nous optons pour une voie plus cool (sur le topo, bien entendu : 5b, 5c), Chrysanthèmes, car l'effort a été soutenu les journées précédentes. Il y a un peu plus de monde que la veille où nous étions carrément seuls, et heureusement nous sommes partis tôt le matin, malgré un froid très piquant. Mieux vaut être la première cordée, car les pierres, bien que rares, volent malgré tout.
Eh ben, cette voie mythique, l'une des toutes premières ouverte à Presles, comporte de sacrées mises à l'épreuve. Un dièdre dégoulinant d'eau (un vrai petit ruisseau) me laisse très grognante, car je dois tricher en utilisant une lanière (prévue à cet effet) très judicieusement placée sur la paroi lisse. Car en effet, les dalles sont assez patinées, ce qui rajoute à la difficulté de l'eau qui me trempe les chaussons et les manches. Je ne peux même pas coincer mon corps, à défaut d'être totalement imbibée. Heureusement, la magnésie permet d'éponger un peu de cette flotte, pour que je puisse au moins saisir les prises. Plus tard, une traversée gazeuse me fait tiquer mais je passe! Ouff. Moi qui n'aime pas ça - autant grimper en tête. Des écailles déversantes suivent, pour parfaire l'éventail technique. Très musclé tout cela, vraiment, et en regardant les différentes cotations réévaluées, nous sommes bien dans le 6b. Nous qui voulions rester tranquilles (mon guide s'est chopé une tendinite au genou qui s'aggrave au fur et à mesure que nous montons), nous faisons finalement la voie la plus costaude des trois jours. Je dois tricher encore une fois, au dernier dièdre très lisse.
Mais quelle beauté de voie! Vraiment encore extraordinaire, dans une paroi qui paraît immense. Nous sommes le plus souvent dans le vertical, alors que nous sommes entourés de dévers - c'est spectaculaire. Les cordées qui montent après nous ne sont même pas visibles, tellement le surplomb les cache à nos regards. Vraiment très grande classe, et malgré mes petites tricheries que je me pardonne, je m'en sors pas mal. C'est mon guide qui a souffert le plus, avec son genou inflammé. Le sentier de retour se fait donc très lentement, mais cela nous donne l'occasion de profiter encore de cette vue splendide, avec ce soleil bien particulier en ce milieu du mois de janvier.

Retour à Paris, un autre monde, une autre planète. Définitivement, je continue à réfléchir si je ne vais pas m'eclipser pendant un temps pour plonger de plus près dans cette ambiance magique et infiniment variée de la montagne.