Bret Easton Ellis' "Less than Zero", "American Psycho", "Imperial Bedroom"
On ne sort pas indemne d'une lecture d'Ellis. Au contraire, l'auteur laisse le lecteur dans un état hypnotique, sans qu'il puisse échaper de la progression du récit qui, inexorablement, chemine à partir de l'insipide tout droit vers l'abîme.
Ce garçon à l'allure de dandy gentillet est en fait doté d'une imagination des plus féroces. D'un voyeurisme crû et sans jugement aucun, Bret Easton Ellis livre au lecteur tout ce que celui pourrait lui-même imaginer de pire, sans jamais vouloir se l'avouer. Là, il n'y a que franche énonciation de ce qui peut germer dans un cerveau humain. Et le lecteur suit, ipso facto coupable.

Ellis ne nous épargne à aucun moment notre propre travail psychique en face de l'horreur, conçue par l'homme, envers l'Autre, en refusant de prendre un parti qui serait gentiment édulcoré par la morale. Rien dans l'écriture d'Ellis ne condamne ce qu'il montre dans une lumière crue, et son moralisme est précisément situé là.. C'est le lecteur qui se voit tout d'abord dérangé, voire ennuyé, puis choqué, pour être irresistiblement attiré par ce que ces décennies de fin et de début du siècle peuvent produire de plus glauque. Et bien qu'il se dise d'abord heureux de faire partie d'une bien autre réalité , une part de lui sait reconnaitre ce qui se trame sous ses propres yeux.

Ellis lui-même ne s'épargne pas. Recevant des menaces de mort suite à la publication de "American Psycho", il continue à écrire dans la même veine, même si la cruauté n'est pas autant à l'apogée. Les personnages se suivent et se croisent d'un roman à l'autre. A la question de "qui a inspiré Patrick Bateman"*, il répond "mon père"... Bref, l'horreur, le vide, le néant peut se trouver dans la famille proche, autour de soi, en soi.
Attention toutesfois d'élaborer suite à l'ingestion d'un de ses bouquins : comme le disait Nietzsche, "Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi." Le lecteur, au bout des pages, connaît son propre état abîmé - et Ellis, lui, il en est où ?