vendredi 24 août 2012

The Help

La couleur des sentiments, par Kathryn Stockett

Enfin de nouveau un livre, un roman, auquel on reste collé(e) jusqu'au petit matin - "a page turner" comme disent les Anglo-Saxons.

L'histoire est celle de femmes noires, employées en tant que domestiques, dans les années 1962-1964, chez des familles blanches de Jackson, Etat du Mississipi. Comment fut-il possible que, au moment où je suis née, un esclavage de fait ait encore pu subsister au quotidien, alors qu'il avait été aboli par décret, depuis 1848, par la France et, par le 13ème amendement, en 1865, par les USA? Effarent quotidien pour des millions de personnes dont la vie - ou celle de leurs proches - risquait de basculer dans l'horreur d'un jour, d'une heure à l'autre... Définitivement, le vernis de la civilisation reste d'une fragilité et d'une précarité extrêmes ! Merci à Kathryn Stockett de nous le rappeler.

Certes, le livre - qui a été adapté en film - a fait l'objet de critiques. En particulier, et selon the Association of Black Women Historians, il ne reflète que très partiellement le quotidien des femmes domestiques, et omet quasiment totalement de parler de harcèlement sexuel, et le drame des enfants nés de ces viols. Par ailleurs, les hommes noirs sont où totalement absents, ou alors dépeints comme étant violents et alcooliques.

Ce qui me saisit tout particulièrement, c'est que ces temps-là, c'est comme ils avaient eu lieu hier - et ils continuent néanmoins à s'étendre bien jusqu'à aujourd'hui. Martin Luther King délivra son "I have a dream" lors de sa marche silencieuse sur Washington, en 1963. Ailleurs, plus loin, en Australie, la politique envers les Aborigènes autorisait l'enlèvement et le placement d'enfants aborigènes dans des familles blanches jusqu'en 1971. Et Aaron Huey a photographié et commenté d'une façon bouleversante ce qu'est aujourd'hui encore la pauvreté dans la réserve amérindienne Pine Ridge qui est "Ground Zero for native issues in the US." Le mot lakota pour désigner les Blancs est "Washitshu" qui veut dire "non indian". Mais il désigne aussi "celui qui se sert des meilleurs parts de la viande". Triste mais pertinente association d'images au vu des 85% de chômage dans la réserve...

Au fond, ne sommes-nous pas tous des Washitshus? Car qu'en est-il chez nous, que se passe-t-il sous nos propres yeux alors qu'ils ne sauront voir? Nous avons assisté, de loin seulement, par écran télévisé interposé, aux révoltes des jeunes, parties de Clichy-sous-bois, le 27 octobre 2005. Et qu'en avons-nous appris depuis? Avons-nous seulement compris la signification des évènements? Ne sommes-nous pas devant un déni similaire que celui dont font preuve les femmes blanches dans le livre de Stockett? 

Il est si facile de comprendre l'Histoire a posteriori, mais bien plus complexe d'en dessiner les contours alors qu'elle est en train de se tramer. D'autant lorsque sa dénonciation demande un véritable courage pour tout un chacun. Le moins que nous puissions faire c'est de garder nos yeux ouverts et notre sensibilité intacte.