„Ach“, sagte die Maus, „die Welt wird enger mit jedem Tag. Zuerst war sie so breit, daß ich Angst hatte, ich lief weiter und war glücklich, daß ich endlich rechts und links in der Ferne Mauern sah, aber diese langen Mauern eilen so schnell aufeinander zu, daß ich schon im letzten Zimmer bin, und dort im Winkel steht die Falle, in die ich laufe.“ – „Du mußt nur die Laufrichtung ändern“, sagte die Katze und fraß sie. (Franz Kafka), (1)
Cela fait sept années que je ne suis plus venue à cet endroit-là. Sept années pendant lesquelles tant de choses se sont jouées pour moi. Sept années aussi qui me séparent d'un passé si familier et pourtant très lointain déjà. Tout resurgit au moment où je m'approche du lieu, où je retrouve les gestes d'avant, les odeurs aussi, et les gens qui, bien que différentes, restent les mêmes dans leur essence. Étrange réalité qu'est la mienne aujourd'hui : jamais je n'aurais imaginé que je reviendrai à cet endroit-là dans les conditions actuelles. Un va-et-vient bouleversant entre passé et présent s'opère et tant de souvenirs remontent soudain, non pas progressivement, mais par à-coups presque violents. Et avec les souvenirs se façonnent des émotions de tristesse, de tout ce qui n'est plus, de deuil de ce qui a été et de ce qui ne sera plus jamais.
"Plus jamais". J'ai tant de mal à penser ces mots, à les laisser s'emparer de mon être et y laisser étendre la douleur dont ils sont chargés. Je m'aperçois à quel point l'empreinte physique de cette douleur est insoutenable. Et du coup, je la mets de côté, je l'efface de ma conscience, afin que je n'aie plus mal. Mal au corps, mal aux pensées, mal tout court... Et pourtant, je dois en même temps admettre que cette douleur ainsi niée et évincée, cela signifie juste de l'exiler dans mon inconscient, au plus profond de moi où elle continuera à faire ses ravages malgré moi, sans que je m'en doute.Cela fait sept années que je ne suis plus venue à cet endroit-là. Sept années pendant lesquelles tant de choses se sont jouées pour moi. Sept années aussi qui me séparent d'un passé si familier et pourtant très lointain déjà. Tout resurgit au moment où je m'approche du lieu, où je retrouve les gestes d'avant, les odeurs aussi, et les gens qui, bien que différentes, restent les mêmes dans leur essence. Étrange réalité qu'est la mienne aujourd'hui : jamais je n'aurais imaginé que je reviendrai à cet endroit-là dans les conditions actuelles. Un va-et-vient bouleversant entre passé et présent s'opère et tant de souvenirs remontent soudain, non pas progressivement, mais par à-coups presque violents. Et avec les souvenirs se façonnent des émotions de tristesse, de tout ce qui n'est plus, de deuil de ce qui a été et de ce qui ne sera plus jamais.
Alors, puisque accepter la douleur, tout comme la dénier, est impossible, comment me sortir de ce piège dans laquelle la vie me met comme le chat qui a réussi à chasser la souris dans le coin sombre d'une immense pièce solitaire ? Je suis devant cette énigme, presque paralysée, sans force et sans voix. C'est en tout cas ce qu'il me semble - au moment même où arrive, d'une façon inespérée, la vision d'une possibilité ultime, d'une dernière carte à jouer - carte très risquée, certes, mais qui reste une échappatoire potentielle. Ma seule possibilité de continuer à vivre une vie qui vaille la peine d'être vécue, est de la trouver précisément là où je n'ose l'entrevoir : il me faut me jeter entre les pattes du chat, en espérant de pouvoir passer à travers. Cela implique de me regarder enfin dans le miroir, sans fausse modestie, me regarder pleinement, telle que je suis aujourd'hui, telle que je me suis laissée faire et défaire par la vie. Et puis, car cela n'est que le début, il me faut passer de l'autre côté de ce miroir, pour finalement me réinventer de fond en comble, afin de modeler à partir de ce matériau brut un présent nouveau, un ici-et-maintenant, une capacité à la création qui permet d'échapper à l'irruption intempestive de souvenirs, à la résurgence nostalgique d'un passé définitivement révolu, au fantasme d'un "avant" à retrouver et à espérer dans l'avenir.
Et pourtant, cette réinvention de soi et plus vite énoncée qu'élaborée. Car c'est alors qu'il faut se confronter aux angoisses les plus enfouies en soi : assumer ce que l'on est en train de devenir véritablement, bien que ce nouveau Moi reste encore fragmentaire, conscient en partie seulement, à peine avouable devant soi-même. Et a fortiori encore moins revendiqué aux yeux et au su d'autrui... Certes, "la mort nous dépouille de tout ce que nous ne sommes pas"(2), mais faire émerger ce que l'on est, cela signifie tout autant d'emprunter un chemin obscur, invisible, inexistant et inconnu comme la mort l'est de son côté. Il me faut pouvoir arriver à dire haut et fort que, oui, je suis particulière, singulière, originale même, voir créative à ma façon. Ah, il m'est si difficile d'assumer pleinement cette proclamation de moi, car cela implique non seulement de réclamer une place bien à moi dans ce monde, mais en plus de la défendre et de négocier avec autrui. Chose extrêmement périlleuse pour moi, porteuse d'angoisses comme celle de me livrer à la critique, au rire, au rejet, au refus d'être aimée. Quel archaïsme dans tout cela! De toute manière, là où j'en suis maintenant, avec plus rien à perdre, et incertaine de ce que je vais gagner, je n'ai pas vraiment le choix. La force de vivre, l'instinct de survivre est trop fort pour que je puisse continuer à me soustraire à cette confrontation avec moi-même. Il faut que je me jette entré les pattes du chat. C'est devenu impératif. Et l'on verra bien ce qui arrivera. Cela fera bouger les lignes - mais tant qu'il y a du mouvement, il y a de la vie. Comme disait Épicure : "si la mort est là, je n'y suis plus. Si elle n'y est pas, je n'y suis pas encore."
(1) Franz Kafka: "Ah" dit la souris, "le monde se rétrécit chaque jour. Initialement, il fut si large que j'eus peur; j'avançai et je fus heureux d'apercevoir enfin, au loin, des murs de chaque côté, mais ces longs murs se rapprochent si rapidement que je suis déjà dans la dernière pièce, et là, dans le coin, il y a le piège vers lequel je me dirige." "Tu n'as qu'à changer de direction" dit le chat et la dévora.
(2) Eckhardt Tolle, Le pouvoir du moment présent
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire