Un travail herculéen en perspective
Rappelons-nous que l'un des tout premiers mots appris et prononcés par le petit homme, après "maman" et "papa", est le "non!". Quelle merveilleuse audace, alors que, dépendant et vulnérable, cet être tout neuf ose braver la Loi de ceux qui pourtant assurent sa survie.
Quelle tragédie, par la suite, d'observer comment cette implacable entreprise qu'est l'éducation - ex ducere - nous amène au prix de souffrances devenues insensibles tellement elles nous ont abîmées, au point où notre premier réflexe est celui d'acquiescer, d'opiner du chef, de nous soumettre... "Tu sais que c'est impossible, et pourtant - c'en est devenu risible - tu cherches tous les jours, dès le matin, à arranger tout un chacun." (1)
L'acquiescement nous vient donc presque par réflexe... Or, il est impossible de dire véritablement "oui" aussi longtemps que celui-ci est le fait d'un faux self. Et pour le dire avec les mots de quelqu'un qui à également dû se battre avec lui-même pour se dégager d'un "oui" soumis : "pour dire oui, il faut pouvoir dire non." (2)

Voilà donc ce qui me reste à faire, c'est-à-dire l'essentiel : "Il s'agit de développer la puissance de défi de l'esprit; la capacité de dire 'Non' au moment juste" (4) Non pas une veine opposition de principe, donc, qui équivaudrait à un immature réflexe de faire obstacle. Au contraire, il s'agit de résister avec grâce et, de ce fait, avec un véritable discernement, engageant non seulement la pensée, mais aussi le cœur et le corps, pour déboucher sur l'action 'juste'.
C'est cela, je pense, que l'éducation devrait avoir comme objectif. Et si je le sais évidemment depuis belle lurette, telle la mouche devant sa fenêtre transparente, je ne commence qu'aujourd'hui à cerner peu à peu ce que cela signifie véritablement. La maladie qui entraîne au fil du temps le corps et l'esprit trop faussement consentants vers les conséquences de la pulsion de mort, m'a paradoxalement révélée qu'il était urgent d'agir. Et des relations où l'arrangement de l'Autre consomme une partie substantielle des pensées et des émotions m'indiquent vers quoi il faudrait que j'adresse ce "Non".
C'est probablement cela que de devenir véritablement adulte : savoir s'éduquer (de nouveau : ex-ducere) soi-même. Un peu comme le Baron de Münchhausen qui se sort du bourbier en tirant sur ses propres cheveux. J'ai le reste de la vie pour tracer un chemin dans ce sens. Et finalement, c'est un beau projet, car "Oser dire 'non' est aujourd'hui une forme de bravoure" (5) Quelle belle et difficile aventure donc est devant moi.
(1)Karl Heinz Söhler (1923-2005)
"Du weißt, es ist unmöglich,
Und doch, es ist zum Lachen,
Versuchst du beinah täglich,
Es jedem recht zu machen."
(2) François Mitterrand
(3)Friedrich Nietzsche, Morgenröte, Aphorismen 444:
"Weil etwas für uns durchsichtig geworden ist, meinen wir, es könne uns nunmehr keinen Widerstand mehr leisten - und sind dann erstaunt, dass wir hindurchsehen und doch nicht hindurch können! Es ist dies dieselbe Torheit und das selbe Erstaunen, in welches die Fliege vor jedem Glasfenster Gerät."
(4)Viktor Frankl (1905-1997)
"Es gilt die 'Trotzmacht' des Geistes zu entwickeln, die Fähigkeit, im richtigen Augenblick 'Nein' zu sagen."
(5) Michel Lacroix, Philosophe
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