Bouquet final
Réveil à 6h30 difficile, mais le ciel étoilé magnifique est la récompense pour ce départ tôt le matin. La discussion animée dans la voiture bien chaude est un sursis bienvenu que j'aimerais faire durer encore. Mais une fois arrivé au village de La Gouille (1644m, Valais), tout près d'Arolla, les peaux sont vite montées sur les skis et le top chrono est parti.
Nous montons rapidement dans le bois de mélèzes en doublant trois autres randonneurs. Je suis un peu stressée en raison de la rando assez costaude de la veille, et j'ai comme toujours un peu peur de ne pas y arriver. Le froid de l'ombre matinale aide à monter, mais une fois dépassé la forêt, le soleil apparaît derrière les sommets et rend la montée moins facile. Nous hésitons au bout d'un moment quant à l'itinéraire à emprunter. Après délibération avec la carte, mon frère décide de redescendre au fond de la vallée et de suivre d'autres traces que l'on voit de loin. Nous enlevons les peaux, perdons de l'altitude en redescendant de 50m, remontons les peaux et c'est reparti.
Ces aléas, pour peu qu'on soit déjà relativement éprouvé physiquement, font vite chuter la motivation. C'est tout un acte de volonté pour se remobiliser, ressentir de nouveau la tension dans le corps qui fait avancer. Et j'en ai besoin car la montée est raide. Nouvelle consultation de la carte: nous sommes beaucoup trop au nord, cette fois-ci et il faut traverser sous des pentes un peu raides, ce qui n'est pas sans danger. Mon frère en premier fait la trace de ce nouvel itinéraire, pour rejoindre l'autre trace que nous avions quittée auparavant. Nous maintenons une distance - au cas où "ça partirait". Trompeuse impression : sous la peur, j'insipire à fond en me disant que je pèse moins lourd sur la couverture neigeuse... L'embout de l'Avalung proche de ma bouche, je traverse au plus vite, mais c'est éprouvant. C'est seulement quand nous arrivons de nouveau sur l'itinéraire initial que je me décontracte un peu.
La montée vers la cabande des Aiguilles Rouges est très raide. Cependant, dans notre dos se dresse, majestueuse, la Dent Blanche, ce "fauve prêt à bondir" comme on l'appelle aussi. Au fur et à mesure que nous gagnons en altitude, d'autres sommets apparaîssent, dont le Cervin dans toute sa splendeur, la Dent d'Hérens, l'Obergabelhorn et tant d'autres.
Nous redoublons les trois randonneurs du départ qui étaient restés sur la trace initiale. Quelques mots échangés, on se tutoie, c'est bon enfant. Cela fait plusieurs heures que nous sommes en marche, et j'emprunte un pas assez rapide que je pourrais néanmoins garder pendant encore longtemps - au moins, c'est ce que je me dis. La vallée paraît loin, loin déjà, quand nous arrivons sur le glacier. Enfin, nous voyons le sommet, la Pointe de Vouasson.
Une belle croix sous un soleil radieux nous accueille, à 3498m! Au pied il y a une insigne d'une urne dont les cendres ont été dispersées, à cet endroit-là. Ferons-nous pareil, plus tard? C'est en tout cas une belle fin pour un corps, je trouve, surtout au vu du calme, de l'isolement et du panorama absolument exceptionnel qui nous entourent. Quelle course fabuleuse !!
La descente est longue avec des passages extra, dans une poudreuse légère, mais la majorité de l'itinéraire se fait dans une neige croûteuse et lourde au point que je fais des conversions pour descendre. Les jambes sont archi douloureuses, et je me prends de plus en plus mal jusqu'à ce que j'enlève les skis sur les dernières mètres de descente.
Nous enfin à la voiture, au bout de 4h30 de montée pour au moins 1700m de dénivelés au total et 1h30 de descente. Je ressens une véritable gratitude envers ce corps qui est si fidèle, une fois de plus, envers le bonheur aussi de pouvoir bouger ainsi, le plaisir après cet effort considérable, et cette proximité avec les choses les plus élémentaires que sont la respiration, la faim, la fatigue, mais aussi et surtout la simplicité et l'intensité de la relation avec ma belle-soeur, mon frère. Nous rentrons chez nous et les étoiles brillent de nouveau. Je crois que le bonheur, c'est bien cela, tout cela ensemble.