dimanche 19 décembre 2010

L'hiver des pauvres

Aujourd'hui, en France...

L'hiver des pauvres s'affiche dans les rues, avec insistance: sous les porches peu fréquentés, dans les entrées délaissées, au-dessus d'une source d'air chaud qui sort d'une bouche sur un trottoir, une place. Depuis le début de l'année 2010, 340 SDF sont morts dans la rue, en France, dont 11 en raison du froid - la violence, l'alcool ayant eu raison de la vie des autres. On survit donc à l'hiver, semble-t-il, mais dans quelles conditions, dans quel abandon, dans quelle tristesse? Le 15 décembre, le collectif "Morts dans la rue" a rendu hommage aux décédés, afin d'agir pour les vivants. Pour que nous ne passions pas si vite devant ces petits cartons qui demandent une pièce. 

... et il n'y a pas si longtemps, en Suisse

Car nous passons vite devant ces petits cartons qui demandent une pièce, pour mieux oublier que nous pourrions aussi être à cette place. D'autant qu'il y a deux générations seulement, dans le Suisse riche et prospère, la misère avait des allures similaires.

Un garçon de 8 ans, retiré à sa mère parce que son père s'était suicidé. Placé par l'Etat dans une famille de riches paysans, qui faisaient dormir l'enfant dans le grenier de la maison des valets. Un lit glacial, une chambre qui ne protègait que très peu l'enfant des rixes entre valets, une nourriture insuffisante que venait enrichir seulement de temps à autre, au prix d'un grand risque, un oeuf cru volé aux poules. Seule compassion de la part des fermiers - très protestants, d'ailleurs - lorsque la neige commençait à tomber : des sabots en bois où le garçon pouvait glisser ses petits pieds nus, afin qu'il continuât à travailler pour justifier son existence.

Une fillette de 8 ans également, l'aînée de 5 soeurs et un frère, moins abandonnée émotionnellement, mais exposée elle aussi à la dureté de la vie sans aucun ménagement. Ses chaussettes, elle devait les tricoter elle-même si elle voulait avoir de quoi se protéger du froid. La marche à l'école de plus d'une heure le matin, dans la neige haute, la faisait arriver en classe détrempée. Un petit lac se formait sous sa chaise quand les pelotes de neige fondirent. Ce fut juste avant d'entamer la marche du retour, le soir venu après l'école, vers la ferme familiale, qu'elle avait des habits devenus secs peu à peu par la chaleur de son propre petit corps de fille.

Ce fut l'histoire de mon grand-père, un "Verdingkind" (earning child). L'autre est celle de ma grand-mère, ayant grandi dans une minuscule ferme en quasi autarcie. Ce fut en Suisse, autour des années 1920.

Des "Verdingkinder", on ne sait que peu, en raison du silence lié la honte qu'ils éprouvèrent pendant toute leur vie pour avoir été ainsi placés. L'absence d'éducation de base est certainement aussi une des raisons qui nous laisse avec peu de récits. Une exposition rend enfin hommage aux enfants placés et à leur jeunesse volée. Leur histoire rejoint ceux des petits spazzacamini, ces enfants pauvres du Tessin qui furent vendus à des petits patrons, où ils devaient ramoner les cheminées des bourgois de Milan.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire