samedi 21 janvier 2012

samedi 14 janvier 2012

Le chaos en soi

inaugural à la créativité, à l'émergence d'un être

"Ich sage euch: man muss noch Chaos in sich haben, um einen tanzenden Stern gebären zu können..."
"Je vous l'affirme : il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse..."
Friederich Nietzsche

Quand le corps et l'esprit parviennent devant l'infranchissable abîme, le choix de la rétractation n'est plus. Un instant de perte ineffable, d'une peur toute envahissante tel un liquide chaud, s'empare de cette enveloppe corporelle qui contient notre Moi, et le projette dans un monde insoupçonné dont les contours commencent seulement à s'esquisser. C'est peut-être là, dans cet instant d'étonnement pétrifié, qu'il est possible de se dire "eh bien, s'il le faut, allons-y pour de bon".

Et puis quelque chose m'a empêchée de franchir la frontière de cet abîme, comme cette petite fille d'une vieille gravure de mon enfance, qui est retenue au bord de sa chemise par un majestueux ange gardien, alors qu'elle suit, joyeuse, un papillon virevoltant au-dessus du précipice.

J'ai juste entrevu la porte s'ouvrir, d'un espace infinitésimal. Je suis de nouveau à la vie, oui, mais bien changée. Car cet entrebaillement m'a renvoyée à des énigmes qui me paraissent insolubles : au fond, qui est-ce qui revient ainsi dans le monde? Et pour faire quoi, dorénavant, puisque tout est si altéré, même si rien n'a fondamentalement bougé pour l'oeil extérieur?


Vaste sujet puisqu'il s'agit maintenant, après s'être laissé créer, se recréer, à partir de son essence qui reste à être découverte. Cela m'apparaît comme une tâche immense, ahurissante même, pour moi qui m'y trouve confrontée, comme si je butais devant une montagne infranchissable.

Où commencer? - si seulement cela était clair. Un mouvement interne m'exhorte à laisser choir tout ce qui ne m'est pas : les peurs, les injonctions, les fausses émotions, les désirs de l'Autre. Pas si facile que ça, très difficile même. Car il faut alors oser faire face à soi-même, assumer les plaisirs infinis, tout comme les zones d'ombre qui s'entremêlent pour l'instant encore, dans un chaos indistingué, qu'il s'agira d'ordonner peu à peu pendant tout ce temps qui m'est encore imparti.

Que l'on ne s'y trompe pas : "ordonner" ne veut pas dire "plus d'ordre". Au contraire : savoir soutenir cette indisdinction tout en faisant, en créant, c'est bien de cela dont il s'agit. Avoir "encore du chaos ensoi"... même si la promesse d'une étoile dansante ne représente qu'un lointain espoir, une lueur quelque part dans le noir que l'on pourrait deviner. Y aspirer, c'est pourtant bien cela qui nous rend humains.

Et quand la véritable création advient, elle le fait avec fulgurance : " La perfection ne serait pas devenue. - Nous sommes habitués, face à toute perfection, à omettre la question du devenir : nous nous réjouissons au contraire de tout ce qui est présent, comme si tout cela aurait émergé de la terre, par un coup de magie."

"Das Vollkommene soll nicht geworden sein. - Wir sind gewöhnt, bei allem Vollkommenen die Frage nach dem Werden zu unterlassen: sondern uns des Gegenwärtigen zu freuen, wie als ob es auf einen Zauberschlag aus dem Boden aufgestiegen sei." (F. Nietzsche, Menschliches, allzu Menschliches, IV, 145)


Et pour terminer, n'oublions pas peut-être la chose la plus délicate : créer avec humour, comme le fait si bien Amy Tan dans cette conférence sur l'inspiration qui tisse son oeuvre passionnante.  



Als Zarathustra diese Worte gesprochen hatte, sah er wieder das Volk an und schwieg. „Da stehen sie", sprach er zu seinem Herzen, „da lachen sie : sie verstehen mich nicht, ich bin nicht der Mund für diese Ohren.

Muss man ihnen erst die Ohren zerschlagen, dass sie lernen, mit den Augen zu hören? Muss man rasseln, gleich Pauken und Bußepredigern? Oder glauben sie nur dem Stammelnden?
Sie haben Etwas, worauf sie stolz sind. Wie nennen sie es doch, was sie stolz macht? Bildung nennen sie’s, es zeichnet sie aus vor den Ziegenhirten.
Drum hören sie ungern von sich das Wort „Verachtung“. So will ich denn zu ihrem Stolze reden.
So will ich ihnen vom Verächtlichsten sprechen :
das aber ist der letzte Mensch."

Und also sprach Zarathustra zum Volke :
“Es ist an der Zeit, dass der Mensch sich sein Ziel stecke. Es ist an der Zeit, dass der Mensch den Keim seiner höchsten Hoffnung pflanze.
Noch ist sein Boden dazu reich genug. Aber dieser Boden wird einst arm und zahm sein, und kein hoher Baum wird mehr aus ihm wachsen können.
Wehe! Es kommt die Zeit, wo der Mensch nicht mehr den Pfeil seiner Sehnsucht über den Menschen hinaus wirft, und die Sehne seines Bogens verlernt hat, zu schwirren!
Ich sage euch : man muss noch Chaos in sich haben, um einen tanzenden Stern gebären zu können……”

aus:
Friedrich Nietzsche: Also sprach Zarathustra (1883-1891)

vendredi 6 janvier 2012

Rien ne s'oppose à la nuit

et rien ne justifie...

Comment entrevoir la maladie qui abîme, dévore et engloutit peu à peu un être? Comment apprivoiser des questions que l'on n'ose pas penser ? Comment faire face à une réalité qui s'impose tant et qui paraît pourtant ne pas appartenir à celui qui la vit ?

Dans ma clausure du monde, de ma vie, de moi-même, je fais tourner les mots, les interrogations, les exclamations sur mon devenir, si certainement positif par moments, si fragile par d'autres. M'attacher à d'infimes détails qui me font avancer sur mon sentier parfois indéchiffrable. En extraire une joie infinie, insoupçonnée. Puis basculer vers le noir profond, l'abîme qui s'ouvre à l'intérieur de mon corps. A tour de rôle, comme une ronde  indomptable.

Delphine de Vigan en dépeint les contours, la texture et la sonorité dans son livre dans lequel elle raconte sa mère. Saisissante recherche de justesse sur ce qu'est la condition humaine lorsqu'elle est fragile, friable, lestée par un poids du passé qui se conjugue à un présent insaisissable. Lorsque les limites du corps imposent des contours étroits à la volonté, à l'esprit, à l'âme. Et où d'impensables petits plaisirs parviennent néanmoins à donner un sens à l'existence, où l'amour, sous ses contours si vagues, imprime malgré tout une direction et un sens. 

Qu'est-ce qui s'oppose à la nuit? Rien, finalement, car la nuit finit par vaincre. Vaincre, tout court. 

Et pourtant, je ne peux l'envisager, entendre, le ressentir au plus profond de moi. Car c'est bien dans ces instants, où je suis consciente que la nuit s'approche irrémédiablement, que je pense à tous ceux qui y sont allés avant moi. En la combattant, en y résistant, mais aussi parfois en l'accueillant avec résignation ou avec soulagement. C'est un savoir tout particulier : moi aussi, à mon tour, j'irai un jour vers ce destin auquel d'innombrables autres avant moi ont su faire face. C'est un savoir qui me paraît consolant, voire rassurant : je ne ferai, le moment finalement venu, rien d'autre que rejoindre ce que l'humanité a de plus profond à traverser. Je serai à ce moment-là en très bonne compagnie de tous ceux qui m'accueilleront dans la nuit.

Mais d'ici là, j'ai le temps, le temps de la vie, du plaisir - et surtout celui de la créativité. Saisir justement la fragilité et la beauté de tous ces instants offerts, volés. Comme ce cheval blanc d'Alain Bashung. Oser ce qui semble impensable. Oser et oser encore. Tant qu'il y a du mouvement, il y a de la vie.


de Vigan, D. (2011), Rien ne s'oppose à la nuit, Paris : JC Lattès

Alain Bashung : Osez Joséphine

A l'arrière des berlines
On devine
Des monarques et leurs figurines
Juste une paire de demi-dieux
Livrés à eux
Ils font des p'tits
Il font des envieux

A l'arrière des dauphines
Je suis le roi des scélérats
A qui sourit la vie

Marcher sur l'eau
Eviter les péages
Jamais souffrir
Juste faire hennir
Les chevaux du plaisir

Osez osez Joséphine
Osez osez Joséphine
Plus rien n's'oppose à la nuit
Rien ne justifie

Usez vos souliers
Usez l'usurier
Soyez ma muse
Et que ne durent que les moments doux
Durent que les moments doux
Et que ne doux

Osez osez Joséphine
Osez osez Joséphine
Plsu rien n's'oppose à la nuit
Rien ne justifie

Osez osez
Osez osez
Osez osez Joséphine
Osez osez Joséphine
Plus rien n's'oppose à la nuit
Rien ne justifie