jeudi 30 décembre 2010

Randos à ski : Pointe de Vouasson

Bouquet final

Réveil à 6h30 difficile, mais le ciel étoilé magnifique est la récompense pour ce départ tôt le matin. La discussion animée dans la voiture bien chaude est un sursis bienvenu que j'aimerais faire durer encore. Mais une fois arrivé au village de La Gouille (1644m, Valais), tout près d'Arolla, les peaux sont vite montées sur les skis et le top chrono est parti.

Nous montons rapidement dans le bois de mélèzes en doublant trois autres randonneurs. Je suis un peu stressée en raison de la rando assez costaude de la veille, et j'ai comme toujours un peu peur de ne pas y arriver. Le froid de l'ombre matinale aide à monter, mais une fois dépassé la forêt, le soleil apparaît derrière les sommets et rend la montée moins facile. Nous hésitons au bout d'un moment quant à l'itinéraire à emprunter. Après délibération avec la carte, mon frère décide de redescendre au fond de la vallée et de suivre d'autres traces que l'on voit de loin. Nous enlevons les peaux, perdons de l'altitude en redescendant de 50m, remontons les peaux et c'est reparti.

Ces aléas, pour peu qu'on soit déjà relativement éprouvé physiquement, font vite chuter la motivation. C'est tout un acte de volonté pour se remobiliser, ressentir de nouveau la tension dans le corps qui fait avancer. Et j'en ai besoin car la montée est raide. Nouvelle consultation de la carte: nous sommes beaucoup trop au nord, cette fois-ci et il faut traverser sous des pentes un peu raides, ce qui n'est pas sans danger. Mon frère en premier fait la trace de ce nouvel itinéraire, pour rejoindre l'autre trace que nous avions quittée auparavant. Nous maintenons une distance - au cas où "ça partirait". Trompeuse impression : sous la peur, j'insipire à fond en me disant que je pèse moins lourd sur la couverture neigeuse... L'embout de l'Avalung proche de ma bouche, je traverse au plus vite, mais c'est éprouvant. C'est seulement quand nous arrivons de nouveau sur l'itinéraire initial que je me décontracte un peu.

La montée vers la cabande des Aiguilles Rouges est très raide. Cependant, dans notre dos se dresse, majestueuse, la Dent Blanche, ce "fauve prêt à bondir" comme on l'appelle aussi. Au fur et à mesure que nous gagnons en altitude, d'autres sommets apparaîssent, dont le Cervin dans toute sa splendeur, la Dent d'Hérens, l'Obergabelhorn et tant d'autres.

Nous redoublons les trois randonneurs du départ qui étaient restés sur la trace initiale. Quelques mots échangés, on se tutoie, c'est bon enfant. Cela fait plusieurs heures que nous sommes en marche, et j'emprunte un pas assez rapide que je pourrais néanmoins garder pendant encore longtemps - au moins, c'est ce que je me dis. La vallée paraît loin, loin déjà, quand nous arrivons sur le glacier. Enfin, nous voyons le sommet, la Pointe de Vouasson.

Une belle croix sous un soleil radieux nous accueille, à 3498m!  Au pied il y a une insigne d'une urne dont les cendres ont été dispersées, à cet endroit-là. Ferons-nous pareil, plus tard? C'est en tout cas une belle fin pour un corps, je trouve, surtout au vu du calme, de l'isolement et du panorama absolument exceptionnel qui nous entourent. Quelle course fabuleuse !!

La descente est longue avec des passages extra, dans une poudreuse légère, mais la majorité de l'itinéraire se fait dans une neige croûteuse et lourde au point que je fais des conversions pour descendre. Les jambes sont archi douloureuses, et je me prends de plus en plus mal jusqu'à ce que j'enlève les skis sur les dernières mètres de descente.

Nous enfin à la voiture, au bout de 4h30 de montée pour au moins 1700m de dénivelés au total et 1h30 de descente. Je ressens une véritable gratitude envers ce corps qui est si fidèle, une fois de plus, envers le bonheur aussi de pouvoir bouger ainsi, le plaisir après cet effort considérable, et cette proximité avec les choses les plus élémentaires que sont la respiration, la faim, la fatigue, mais aussi et surtout la simplicité et l'intensité de la relation avec ma belle-soeur, mon frère. Nous rentrons chez nous et les étoiles brillent de nouveau. Je crois que le bonheur, c'est bien cela, tout cela ensemble.

mercredi 29 décembre 2010

Randos à skis : Becca di Lovegno

On monte d'un cran

pour cette très belle course qui débute à  Suen (Valais) et qui monte à la Becca di Lovegno. On se fait d'emblée doubler dans le début raide de la forêt au dessus du village : trois mecs et une nana en tenue de course et des skis archi légers nous font sentir un peu comme les Dupond et Dupont au volant de leur voiture dans le désert. On ne se laisse pourtant pas démonter, et notre pas soutenu nous fait traverser des pentes et forêts de mélèzes. Très beau tout cela, mais chaud chaud lorsqu'on rencontre le soleil.

L'altitude fait céder la forêt abruptement. Nous sommes entourés encore une fois d'un panorama spectaculaire : Dent Blanche, Mont..... Comme la trace est assez raide, je n'ai pas trop le loisir de contempler tout cela, d'autant qu'on s'arrête juste un bref instant pour boire un coup et avaler un morceau. L'avantage, c'est que nous gagnons vite en altitude. Nous passons devant une minuscule bergerie avec panneau solaire, svp. il faut ce qu'il faut !

Nous voyons les coureurs qui ont apparemment déjà atteint le sommet et en sont redescendus. Petite consolation : leur avancée n'a pas aussi spectaculaire que l'on pouvait croire au départ. Bonne perf malgré tout car je suis pas mal au taquet. C'est là une véritable ambiance de Haute Montagne, plus encore qu'à la dernière course.

Le sommet est contourné par une traversée d'une combe qui me paraît un peu suspecte au niveau des avalanches, mais comme la neige est déjà tassée, que la trace est bonne et que la pente ne fait pas plus de 30°. Un détail mignon : un skieur précédent a laissé une trace en serpentant dans la neige - qui a aidé un petit lapin à descendre plus confortablement. Nous voyons l'emprunte de ses pattes suivre fidèlement la trace du skieur.


En revanche, sous le sommet, toutes les traces de skieurs s'arrêtent. Tout le monde a fait demi tour, même les coureurs, sans gravir l'arrête sommitale. Nous faisons un dépôt de skis - il fait un vent glacial, au moins monter nous permet de maintenir la chaleur. Et le sommet n'est finalement pas aussi loin qu'on ne pourrait le croire.

Sans traîner, nous entamons la redescente à pied, puis rangeons les peaux, et hop, sur les skis dans la poudreuse. Toute la descente est assez géniale, sauf que je me casse la figure un moment pour ressembler à un Yeti en réemergeant de la neige. C'est dans la forêt que ça se gâte véritablement pour moi... si ce n'était pas de l'entraînement pour des courses techniquement plus dures, je me dirais que je serais vachement mieux sur une piste, tout de même.

Quand nous arrivons au village, il y a un véritable sentiment d'exaltation qui nous traverse. C'était classe comme course, et nous étions assez en forme: 3h45 pour 1400m de dénivelés aller-retour. Les projets pour le lendemain sont déjà en gestation !!




lundi 27 décembre 2010

Randos à skis : Six Blanc

Face au Mont Vélan, un goût de Haute Montagne

Un temps moins splendide que hier, mais nous voilà repartis. Encore une course qui se fait facilement et qui nous fait néanmoins croire au "vrai", à la Haute Montagne, avec tout le panorama splendide qui nous entoure.

A partir d'un minuscule village valaisan, Commeire (1454m), les traces partent sur les pentes enneigées. Une longue traversée dans la forêt, sur un chemin qui monte "mine de rien" et qui nous emmène vers la limite des arbres. Je me trouve moins en forme qu'hier, les skis, c'est lourd, et on avance malgré tout assez vite.

Plus haut, le sommet se démarque avec une pente raide où une grosse avalanche s'est déclenchée. On ne passera pas par là, c'est certain pour moi. D'autres ont osé, mais ils skient certainement mieux que moi. Pourtant, l'itinéraire ne présente pas de difficultés, à part quelques pas raides juste en dessous du sommet. Le danger d'avalanches est certes notable, mais l'endroit est relativement protégé. Tiens, d'ailleurs, j'ai enfin emporté l'Avalung qui permet de respirer sous la neige, si jamais. Bon, ce n'est pas une perspective réjouissante, et la prise de risque doit de toute manière être évitée.

La respiration dans la large combe reflète l'altitude (2445m) qui est toujours difficile pour une Francilienne :o( Va falloir que je continue à m'entraîner, mais comme le dit mon frangin, je fais partie des bons amateurs, donc c'est pas mal. Faire plus, ce serait rejoindre les pros et là tu te prends de sacrées gifles, vu qu'ils sont archi meilleurs. Que je me le tienne pour dit, et au bout de 2h30 de montée, je profite de la vue du sommet qui est magnifique malgré un ciel voilé.

Malgré l'absence de visibilité, une descente assez divine, dans une poudreuse légère, nous ramène trop vite au village. Un bon vin chaud et la journée aura été "tip-top" !!

dimanche 26 décembre 2010

Randos à skis : Petit Chatillon

Mise en jambes devant la porte du chalet

Un petit sommet qui est toujours indiqué lorsqu'on a envie de rien faire, quand on est crêvé, quand les conditions de neige sont pourries, quand on initie un pote à la rando à ski,... Aujourd'hui lendemain du réveillon, on a picolé un peu, on s'est couché tard bikoz cadeaux, et en se levant on s'est dit que définitivement, aujourd'hui on reste au chaud. Sauf que ce sont des résolutions qui tiennent approximativement 5'23", avant qu'on se fasse embarquer par untel qui veut tester ses nouveaux skis, l'autre qui est déjà de mauvais poil depuis x jours car il n'a pas mis le pied dehors depuis x jours, et qu'on se dit à soi-même que l'entraînement va rester en rade si l'on continue sur cette pente. Toutes les raisons invitent au Petit Chatillon, donc.

C'est ma première rando de la saison, il fait -8°C et 25 cm de poudreuse est tombée depuis deux jours. Ce qui est étonnant, c'est qu'il y a toujours, toujours une trace, quel que soit le temps, quel que soit le jour. A fortiori aujourd'hui, avec ce soleil. Nous montons avec un bon rythme, et je me dis que c'est bien la première fois, en tout début de saison, que je peux capitaliser sur ce que j'ai fait auparavant.

La trace mène d'un alpage à l'autre, où l'été les armaillis habitent avec leurs troupeaux de vaches. Le paysage enneigé est féerique jusqu'au bout, avec, au sommet, une vue imprenable sur la vallée du Lac Léman d'un côté, sur le Montblanc de l'autre. Sur les crêtes du toit de l'Europe se dressent des nuages de neige soufflée par un vent qu'on imagine facilement insoutenable. Là, on est à l'abri, au soleil, après près de 1000 m de montée. C'est très bien de se faire une petite descente rapide, de revenir au chalet pour se siffler un bon vin chaud. Et de commencer à forger les projets pour le lendemain... Ah non, demain, on restera au chaud ;o)

Noël blanc en black

Le monde dans un petit village


avec l'incomparable interprétation d'une très grand dame noire. Que de beauté, de force et de liberté...

dimanche 19 décembre 2010

L'hiver des pauvres

Aujourd'hui, en France...

L'hiver des pauvres s'affiche dans les rues, avec insistance: sous les porches peu fréquentés, dans les entrées délaissées, au-dessus d'une source d'air chaud qui sort d'une bouche sur un trottoir, une place. Depuis le début de l'année 2010, 340 SDF sont morts dans la rue, en France, dont 11 en raison du froid - la violence, l'alcool ayant eu raison de la vie des autres. On survit donc à l'hiver, semble-t-il, mais dans quelles conditions, dans quel abandon, dans quelle tristesse? Le 15 décembre, le collectif "Morts dans la rue" a rendu hommage aux décédés, afin d'agir pour les vivants. Pour que nous ne passions pas si vite devant ces petits cartons qui demandent une pièce. 

... et il n'y a pas si longtemps, en Suisse

Car nous passons vite devant ces petits cartons qui demandent une pièce, pour mieux oublier que nous pourrions aussi être à cette place. D'autant qu'il y a deux générations seulement, dans le Suisse riche et prospère, la misère avait des allures similaires.

Un garçon de 8 ans, retiré à sa mère parce que son père s'était suicidé. Placé par l'Etat dans une famille de riches paysans, qui faisaient dormir l'enfant dans le grenier de la maison des valets. Un lit glacial, une chambre qui ne protègait que très peu l'enfant des rixes entre valets, une nourriture insuffisante que venait enrichir seulement de temps à autre, au prix d'un grand risque, un oeuf cru volé aux poules. Seule compassion de la part des fermiers - très protestants, d'ailleurs - lorsque la neige commençait à tomber : des sabots en bois où le garçon pouvait glisser ses petits pieds nus, afin qu'il continuât à travailler pour justifier son existence.

Une fillette de 8 ans également, l'aînée de 5 soeurs et un frère, moins abandonnée émotionnellement, mais exposée elle aussi à la dureté de la vie sans aucun ménagement. Ses chaussettes, elle devait les tricoter elle-même si elle voulait avoir de quoi se protéger du froid. La marche à l'école de plus d'une heure le matin, dans la neige haute, la faisait arriver en classe détrempée. Un petit lac se formait sous sa chaise quand les pelotes de neige fondirent. Ce fut juste avant d'entamer la marche du retour, le soir venu après l'école, vers la ferme familiale, qu'elle avait des habits devenus secs peu à peu par la chaleur de son propre petit corps de fille.

Ce fut l'histoire de mon grand-père, un "Verdingkind" (earning child). L'autre est celle de ma grand-mère, ayant grandi dans une minuscule ferme en quasi autarcie. Ce fut en Suisse, autour des années 1920.

Des "Verdingkinder", on ne sait que peu, en raison du silence lié la honte qu'ils éprouvèrent pendant toute leur vie pour avoir été ainsi placés. L'absence d'éducation de base est certainement aussi une des raisons qui nous laisse avec peu de récits. Une exposition rend enfin hommage aux enfants placés et à leur jeunesse volée. Leur histoire rejoint ceux des petits spazzacamini, ces enfants pauvres du Tessin qui furent vendus à des petits patrons, où ils devaient ramoner les cheminées des bourgois de Milan.

dimanche 12 décembre 2010

Courses à pied : Bois de St. Cucufa

La routine apaisante

Cette course, j'ai dû la faire au moins 300 fois depuis 10 ans. Lasse ces derniers mois d'avancer dans mes propres ornières, j'avais délaissé le bois de St. Cucufa qui est pourtant devant ma porte. Sauf que, ces derniers temps, j'ai failli être sujette à des malaises, à plusieurs reprises, en particulier lorsque j'étais enfermée dans les transports en commun parisiens complètement bondés. Je m'étais même interrogée sur une éventuelle insuffisance respiratoire... psychotage ou non?  Là, il fallait avoir le coeur net.

Donc, je m'y résous, les pieds de plomb : je retourne au bois malgré la familiarité du parcours et le nombre d'autres "usagers" que j'y retrouve : les scouts en shorts (Versaillais, c'est normal, il faut entraîner la jeune classe à l'ascétisme, surtout lorsque le thermomètre chute), les papys et mamies en troupeau serré dans les chemins gras et boueux, enfants et poussettes, VTTs et coureurs, chiens et chevaux... Je me demande bien comment les quelques chevreuils de cette forêt arrivent à trouver des coins de refuge pour survivre à la foule bigarrée.

Et malgré ce monde, le bois est d'une beauté toujours changeante et les coins solitaires existent bel et bien. Cette nuit, j'avais été réveillée par deux chouettes qui se répondaient en hululant, d'un chêne à l'autre. Ce matin, les canards et mouettes, un héron aussi, se reposent sur les plaques de glace qui flottent encore dans l'étang malgré le dégel. La neige d'il y a quelques jours a failli avoir raison de quelques saules sur le rivage: le poids de la doudoune blanche sur leurs branches les fait pencher dangereusement au-dessus de l'eau. Les arbres sont nus, le ciel gris de plomb, un léger vent frisquet, c'est le bois dans son manteau d'hiver.

Montées, descentes, plats et faux plats, cardio dans les escaliers, résistance et conti, tout y est pour décrasser les organes respiratoires devenus par trop citadins. L'air frais rentre dans les alvéoles les plus fines de mes poumons - ils se redéploient peu à peu, se plient à l'effort, travaillent en rythme avec le coeur qui donne la cadence. Quel bonheur de pouvoir sentir son corps se mouvoir avec légèreté et agilité. Une gratitude aussi pour sa fidélité: il est au rdv dans cette 1h30 de course qui peut se faire d'une façon impliquante.

Je suis rassurée, tout à l'air de "fonctionner" comme il faut. J'avais certes psychoté un peu, mais le physique est bien plus apaisé lorsqu'il a pu se remettre en marche. Mens sana in corpore sano... quod erat demonstrandum.

Photos: prises par A.V. le 9 décembre 2010

lundi 6 décembre 2010

Samichlaus - Saint Nicolas

...ou l'interculturalité d'une légende

Clivage du bien et du mal dans la culture catholique, ambivalence chez les Protestants.

Trois petits enfants perdus sont découpés et mis en saloir par un boucher. Au bout de sept ans, ils sont ressuscités par Le Grand Saint Nicolas. C'est ainsi en France.



Et le "Samichlaus", bon et sévère à la fois, au courant de tous les faits et méfaits de chaque enfant. Il apporte les premières mandarines, des noix et des pains d'épices pour les obéissants, le fouet pour ceux qui ne veulent écouter les grands, et emportant avec lui les "très méchants", pour les faire travailler chez lui, dans la forêt, pendant toute une année. C'est comme cela que cela se passe en Suisse.

Es nachtet scho und schneielet
Du liebi Ziit, ganz grüüsli
De Chlaus leit jetzt sin Mantel aa
Und bschlüsst druf no sis Hüüsli.

Er holt de Schlitte us em Schopf,
Spannt's Eseli gschwind aa,
Und ladet d'Seck und d'Fitze n'uuf
Wo n'er für d'Chind mues haa.

"Hü! Trämpeli" seit er, "S'isch jetzt Ziit,
de Wäg is Schtedtli isch no wiit
Mir händ hüt s'Aabig gar vil z'tue,
Hü! Trämpeli, lauf artig zue!"

Wie sind die Seck so dick und schwer...
Wer chunt ächt d'Fitze n'über, wer?
De Chlaus weiss alles ganz genau,
Drum Chinde, bitti, folged au!!

dimanche 5 décembre 2010

L'esthétique de l'instinct

La grâce et la mort

Touchante et belle vidéo de ce renard chasseur, malin et beau, engageant tout son corps, sa vie, dans cette traque de la proie. Est-ce le privilège de l'animal que de pouvoir s'arrêter au moment "juste", lorsqu'il est opportun et nécessaire de fermer la Gestalt de la mise à mort?





Etrange coexistence de cette grâce et de la mort, pour nous, les humains. Susan Sontag, dans son essai critique sur l'oeuvre de Leni Riefenstahl, montre cette fascinante et éminemment dangereuse proximité de l'esthétique et de la mise à mort institutionnelle. 

La médiatisation de l'instinct de vie et de mort ne se fait pour l'Homme que d'une manière très progressive et incertaine, par l'intermédiaire des mythes et des contes. René Girard dans "Le bouc émissaire" et "Les choses cachées depuis la fondation du monde" retrace cette incertaine transition.
  
Interrogation ritualisée et trop facilement expiée dans les corridas et autres combats de coqs - que Charlie Hebdo se charge de dénoncer très régulièrement.

L'humour reste probablement l'arme la plus efficace - et aussi la plus difficile.

dimanche 28 novembre 2010

L'amour fou

Cali ; le Tantrisme ; L'Astrologie ; André Breton 

"Je vous souhaite d'être follement aimée" (André Breton)

C'est en faisant n'importe quoi qu'on vit l'amour fou. Oser goûter chaque seconde, qui peut faire chavirer une vie d'un extrême à l'autre, imprévisible, indomptable. Cali à la rencontre de cette vie qui est une truite arc en ciel qui nage dans son coeur.

Savoir vivre les émotions difficiles, se laisser fouetter par toute la violence des ressentis, quels qu'ils soient. Le Tantrisme dans cet excellent ouvrage de Fabrice Midal m'invite à jouer toutes le touches du Grand Clavier de l'existence, oser jouer les sons graves, aigüs avec toutes les émotions qu'ils portent en eux. A supporter ce feu, cette incandescence, avec tout mon moi, et en toute confiance de ce qui sera aussi au-delà de l'expérience immanente.

La découverte inopinée de mon thème astral, imprévisible réponse à improbable question... Découvrir ce que ça peut comporter, "l'amour de l'Autre". Quelle belle mission, je la fais mienne.

L'amour fou (Cali)

Je dois enlacer, je dois embrasser
Même vite, même dans le noir
Toujours si difficile de trouver
Un autre noyé, un autre désespoir

N’y a-t-il donc personne qui ait besoin de moi
De ma chaleur
De me serrer trop fort
De me lécher les joues
De me lécher les lèvres
De me lécher la peau
De m’aimer à la mort

Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
J’ai besoin de tenir
Et couver une main
D’embrasser des paupières
Sans amour je suis rien
Je cherche une solitude
M’étouffer dans des bras
J’ai besoin de brûler
De vivre une dernière fois

Si je n’ai plus droit à tout ça
Abattez-moi
Abattez-moi comme un chien
Si je n’ai plus droit à tout ça
Abattez-moi
Abattez-moi comme un chien


Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou

Au fond d’un cinéma
A l’arrière d’une voiture
Mon cœur doit battre, battre, battre
Suis-je le seul noyé
Le seul désespéré
Je veux tout, tout, tout
Recommencer


Connaître à nouveau la peur des tout débuts
Au tout début, oh c’était bien
Si je n’ai plus droit à tout ça
Abattez-moi
Abattez-moi comme un chien


Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
J’ai aimé le sourire que tu portais
Quand tu venais me voir à la sauvette
Tu te souviens, dis
Entre deux portes, entre deux mensonges
Tu te souviens, dis
Un homme te vouait l’amour désespéré
Et puis un autre, pour une fois j’étais l’autre
Tu te souviens, dis
J’ai aimé la jeune fille qui nous tenait la main
Tu te souviens, dis
Tout en haut de nos 16 ans
Tout en haut de Fillols
Elle attendait le baiser de ses amoureux
Et sous son kilt trop court
Ses fesses qui hurlaient
Comme un cadeau de dieu
Et puis toutes ces promesses
A toi, à moi, à tous les deux
Tu te souviens, dis

Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou
Personne, personne, personne
Ne vit sans l’amour fou


Et donc aussi, André Breton :
 
"Le 10 avril 1934, en pleine occultation de Vénus par la lune (ce phénomène ne devait se produire qu'une seule fois dans l'année), je déjeunais dans un petit restaurant situé assez désagréablement à côté d'un cimetière. Il faut, pour s'y rendre, passer sans enthousiasme devant plusieurs étalages de fleurs. Mais j'observais, n'ayant rien de mieux à faire, la vie charmante de ce lieu. Le soir le patron "qui fait cuisine" regagne son domicile à motocyclette. Les ouvriers semblent faire honneur à la nourriture. Le plongeur, vraiment très beau, d'aspect très intelligent, discute de choses apparemment sérieuses avec les clients. La servante est assez jolie : poétique plutôt.

Le 10 avril 1934, elle portait, sur un col blanc à pois espacés rouge fort en harmonie avec sa robe noire une très fine chaîne retenant trois gouttes claires, gouttes rondes sur lesquelles se détachait à la base un croissant de même substance pareillement serti. J'appréciai une fois de plus, infiniment, la coïncidence de ce bijou et de cette éclipse. Comme je cherchais à situer cette jeune femme, en la circonstance si bien inspirée, la voix du plongeur : "Ici, l'Ondine" et la réponse exquise, enfantine, à peine soupirée, parfaite : "Ah ! Oui, on le fait ici, l'on dîne !" Est-il plus touchante scène ? Je me le demandais hier encore, en écoutant les artistes de l'atelier massacrer une pièce de John Ford.

La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas."

dimanche 21 novembre 2010

The more loving one

ou comment survivre à une dispute...

...comme celle que je viens de vivre, unique pour moi en son genre, et toute aussi incompréhensible que violente - Je dirais : en ne faisant rien d'autre que d'attendre... jusqu'à ce qu'une petite porte ne s'ouvre.

En ce qui me concerne, cela s'est fait par un verset qui m'est parvenu par bien des chemins inattendus:

"If equal affection cannot be, let the more loving one be me!"

Et, du coup, j'ai trouvé en W.H. Auden un auteur, poète, personnage remarquable qui a, lui, certaine-ment souffert de la foudre venant de la part d'autres.


The More Loving One  (W.H. Auden)

Looking up at the stars, I know quite well
That, for all they care, I can go to hell,
But on earth indifference is the least
We have to dread from man or beast.

How should we like it were stars to burn
With a passion for us we could not return?
If equal affection cannot be,
Let the more loving one be me.

Admirer as I think I am
Of stars that do not give a damn,
I cannot, now I see them, say
I missed one terribly all day.

Were all stars to disappear or die,
I should learn to look at an empty sky
And feel its total dark sublime,
Though this might take me a little time.


Poésie juste et drôle à la fois, qui laisse entendre une certaine grâce que j'aimerais bien, moi aussi, pouvoir faire la mienne.

Et un autre verset de lui, dans une tonalité de l'humour britannique que j'adore :

"We are all here on earth to help others. What I can't figure out is what the others are here for."

Rester digne aussi, notamment lorsque la dispute s'envenime. Car comme le dit encore Auden :

I and the public know,
What all schoolchildren learn,
Those to whom evil is done,
Do evil in return.



jeudi 21 octobre 2010

La créativité dans un sac poubelle

Stomp depuis 6 ans

Je les avais adorés il y a quelques années, lors de leur premier passage à Paris. Re-regardés sur youtube, le groupe australien est entretemps devenu presqu'un mythe. Balais, couvercles de casseroles, poubelles, jeux de cartes - tout est prétexte pour inventer des musiques aux sons bruts et subtils à la fois. Qui dit qu'il faut une batterie de professionnel pour créer du rythme, un Stainway ou un Stradivarius pour jouer à la grande musique?


Le spectacle de Stomp s'est renouvelé presqu'entièrement, en associant aux classiques batons et seaux d'autres objets de percussions. En racontant des histoires drôles sans paroles. En intégrant le spectateur aussi qui se rend compte, alors qu'il se crût béotien complet en matière de coordination et d'empreinte rythmique, qu'avec un guide compétent, il est capable de bien plus qu'il pensât être possible.

Stomp, c'est aussi l'éloge de la modestie dans le geste quotidien. C'est l'incitation à entendre la vie claquer, froisser, battre, chuchoter, bruisser, ruisseler. Avons-nous assez de verbes pour décrire toute cette gamme de sons, qui sont autant d'émotions, de ressentis et d'images? C'est finalement aussi un témoignage de l'humilité de l'artiste qui reste toujours possible, malgré le succès, la notoriété

En sortant du spectacle, on est un peu transformé, par l'ouïe aguérrie, stimulée, sensibilisée, oui : réveillée comme d'un sommeil profond, un peu comme ce qui se passe avec l'odorat, quand on ferme "le Parfum" de Patrick Süskind. C'est beau, c'est fort, et ça fait plaisir.

dimanche 5 septembre 2010

O tempora o mores

Ce temps qui nous échappe...

Quand plusieurs générations regardent ensemble un film, il est remarquable que la question du tempo soit discutée âprement, à chaque fois. Le film étant soit "beaucoup trop rapide, trop bruyant" ou alors manquant cruellement "d'action, de choses qui se passent", le sujet est emblématique de l'évolution de la perception du temps qui a eu lieu depuis plusieurs dizaines d'années.

Les questions liées au temps sont passionnantes et inquiétantes à la fois.

Notre temps à nous, celui des Occidentaux, est devenu le temps universel, et s'impose aussi aux peuples qui ont une compréhension toute autre. Car le GMT (Greenwich Mean Time) qui a été remplacé en 1972 par le UT - Universal Time - est la mesure de l'avancement du globe terrestre dans l'espace. Et son universalité peut être considérée comme l'une des plus importantes facettes du colonialisme moderne, qui continue bel et bien d'être à l'oeuvre.

La philosophie du temps, la métaphysique aussi, ont occupé les philosophes depuis toujours. Des années d'études nous occuperaient si nous nous y aventurerions. Je ne saurai bien évidemment pas être compétente, mais l'excellent blog de Baptiste Le Bihan est une véritable mine de réflections, d'articles.

Sur le versant sociologique, Le Monde Magazine du 29 août 2010 a publié un article sur les conséquences sociétales de l'incontestable accélération du temps. Hartmut Rosa, un sociologue allemand, décrit les effets d'un temps survolté, à la fois sur les individus, leur vision du monde, mais aussi sur la politique. Un temps qui s'accélère, et nous le voyons avec les gesticulation de Président français, a des effets particulièrement délétères sur la démocratie qui nécessite maturité, réflexion, inscription dans la durée, et des projets politiques lisibles sur le moyen et le long terme.

De son côté, Paul Virilio tente également de penser la vitesse. Il montre les liens du temps avec la guerre, les réseaux informatiques qui peuvent être paralysés à la vitesse de la lumière, et les catastrophes qui ne sont que l'une des deux faces - l'autre étant le progrès - d'une même pièce. La puissance de l'évènement, le temps infinitésimal dans lequel il s'inscrit altèrent profondément notre relation à l'objet. La vitesse devient ainsi le symbole même de toute innovation, de notre réussite et de notre bonheur (propos rapportés dans Le Nouvel Observateur du 5 août 2010)

A lire ces documents, à entendre les témoignages, j'ai facilement le bourdon, le moral bien en berne. Comment résister soi-même, si cette nouvelle menace, qui nous est bien plus sournoise qu'un ennemi ouvertement déclaré, risque de nous emporter en un éclair ? Comment ne pas nous enfoncer dans la nostalgie d'un temps où le monde paraissait encore maîtrisable, calculable, prévisible ? Où les grands-pères surent que leurs petits-enfants allaient avoir une vie très similaire à la leur ? Je n'ai évidemment pas vraiment d'idées, mais je pense que le fantasme de maîtrise, de la permanence du Moi, de notre immortalité imaginaire par le biais de la transmission aux générations futures ne peuvent que nous enfermer dans le pessimisme. La transmission opère dans les deux sens : nos enfants nous transmettent tout autant que nous leur transmettons, pour peu que nous puissions être ouverts à ce qu'ils ont à nous apporter. Rester curieux des portes qu'ils pourront nous ouvrir, tout en leur montrant les nôtres (celles que nous avons ouvertes, nous), me semble être le meilleur moyen de vivre sans regrets, dans tous les temps à la fois, Passé, Présent et Futur.

Oui, ce temps nous échappe - mais c'est ainsi depuis Cicéro, quand il s'adresse à Catilina, le subversif, pour s'élever contre la corruption à la fois de son temps et des moeurs. C'est plutôt rassurant, il me semble.

Références :
- Rosa, H. (2010), Accélération - Une critique sociale du tems, Paris: Ed. La Découverte
- Virilio, P., Petit, P. (2010), Cybermonde, la politique du pire, Paris: Ed. Textuel

vendredi 3 septembre 2010

Israël : et si notre regard changeait ?

Quel regard, tout d'abord ?

Hier, Barak Obama a mis à disposition de Netanyahou et Abbas un environnement, un cadre pour que, enfin, les pourparlers puissent reprendre après tant d'arrêt. Tous les 15 jours devraient-ils se renconterer, pour relancer un processus tant enroué, torpillé, saboté, hué. Pourtant, malgré des attaques du Hamas Islamiste, Elie Wiesel se veut optimiste, pensant que des concessions substantielles auraient été faites de part et d'autres pour que Obama puisse oser organiser ces rencontres alors que toute l'Amérique ne fait que se regarder elle-même.

A quelle réalité avons-nous accès dans ce conflit qui nous déchire aussi un peu, par la force des choses? Sur place, cette réalité est toute autre, comme le dernier TIME Magazine (September 13, 2010) en fait part. L'enjeu stratégique, semble-t-il n'est plus tant la paix avec le voisin palestinien. Les yeux des Israéliens sont dorénavant rivés sur les ambitions atomiques de l'Iran - et le conflit autrement plus meurtrier qui pourrait s'en suivre. Les Palestiniens, eux, sont considérés davantage comme une "nuisance". Les Israéliens ont envie de profiter de la vie, de l'économie qui prospère, et d'une vécu au jour le jour, sans vision cauchemardesque brandie quotidiennement.

Mais pouvons-nous nous fier à cette description? Le titre du Time me semble tendancieux. Et de fait, ce qui se passe en Israël est rarement relaté d'une façon objective, comme des études universitaires le démontrent. Les médias européens sont en grande majorité  critiques vis-à-vis de l'Etat Juif, tout en s'appuyant sur les médias israéliens. Ceux-ci étant très souvent éminemment sceptiques par rapport à leur propre pays, les journalistes européens se sentent ainsi légitimés à abonder dans ce sens. Reto Wild, du Tages Anzeiger suisse, a très bien mis en évidence cet état des faits (Böses Israel). Daniel Leon Schikora va dans le même sens (Freie Welt) Or, ces biais ne peuvent qu'aggraver l'attitude anti-israélienne qui prévaut dans l'opinion publique européenne. Et ils omettent le fait que la très grande majorité des Israéliens eux-mêmes souhaitent vivre en paix avec leurs voisins palestiniens.

Quelle réalité, donc ? Même si nous aimerions croire Elie Wiesel, les rencontres récentes peuvent paraître voués à l'échec, tant de forces se dressent contre toute tentative de Paix. Peut-être une vie au jour le jour est effectivement un moyen d'apaisement progressif.  Sara Shilo nous décrit l'une des réalités, un peu dans ce sens, avec un mince espoir au bout. Dans une histoire de famille émouvante, triste et touchante à la fois, une histoire d'immigrés juifs du Maroc, elle nous fait toucher du doigt le quotidien, les peines, les rêves de gens toutes ordinaires pour lesquelles l'ennemi n'est pas tant le voisin palestinien mais un destin auquel il est presque impossible d'échapper. L'histoire est belle et déchirante à la fois - mais ce qui m'a touché tout autant c'est que ce livre - qui est exempt de toute haine, tout ressentiment anti-palestinien - ait figuré pendant des mois sur la première place des meilleures ventes en Israël.

Loin des braises qui attisent la haine anti-"autre" sur lesquelles la France souffle en ce moment, n'est-ce pas une belle leçon de la part de la population israélienne qui vit souvent dans des conditions qui sont impensables pour nous? C'est peut-être elle qu'Elie Wiesel a entendu parler... Pourvu que leur voix porte bien, bien loin!

Référence : Shilo, S. (2010), The Falafel King is dead, London: Portobello Books

mercredi 1 septembre 2010

Exposition : Nicolas de Stael (1945-1955)

Fondation Pierre Gianadda, Martigny

Etonnante Fondation qui réussit à réunir un impressionnant ensemble de tableaux de Nicolas de Stael, venant de collections publiques et privées de toute l'Europe et des Etats-Unis, au coeur du Valais en Suisse. Et de drainer une foule de vacanciers, avides d'enrichir leurs journées à la montagne environnante par quelque nourriture intellectuelle. En fait, il y eut deux expositions en une : la première, celle pour laquelle les gens viennent. Et la seconde, ce furent les visiteurs eux-mêmes.

La première exposition donc : je ne connaissais pas l'oeuvre de Nicolas de Stael, en dehors d'un vague souvenir de son nom. Ses peintures furent donc surprenantes pour moi, à la fois pour leurs couleurs, les motifs mais aussi l'abstraction résolue et conséquente qu'il a travaillée par le biais d'une réflexion intense et continue sur sa manière de créer.

Bel homme, aux pensées torturées, il poursuit inlassablement sa recherche de couleurs, de formes, d'un style surtout, alors qu'il vit dans la pauvreté avec sa femme et sa fille. C'est seulement après la mort de son épouse, quand il se marie une seconde fois avec Françoise Chapouton qu'il peut travailler dans un environnement plus aisé.

Ce qui m'interpelle c'est sa capacité à poursuivre une recherche d'absolu, sans relâche, avec une obstination impressionnante. Est-ce que cela, une vocation, une mission? Quel cadeau du "destin" aurais-je envie de dire... et aussi quelle malédiction. Nicolas de Stael se suicide en 1955, dans une pensée devenue vertigineuse, incapable de soutenir cette quête sans fin. Voilà pour cette partie de la visite.

La seconde partie débute en fait dès le parking de la Fondation: des voitures françaises et belges presqu'exclusivement, du 75, en passant par le 78 et surtout le 92. Paris - non: la bourgeoisie parisienne, pour ne pas dire l'UMP - est en villégiature à la montagne.

Dans la salle d'exposition, en effet, le code vestimentaire subtil du cadre parisien expérimenté (plutôt âgé, donc, mais pas uniquement) est arboré, à la fois par lui-même que par son épouse, et éventuellement des enfants qu'il peut avoir forcé à venir. Chemises Lacoste au col relevé légèrement, pantalons en toile, chaussures décontractées mais impeccables : tel est l'uniforme du BCBG en vacances. Décontracté, certes, mais point trop s'en faut. Les coupes de cheveux des jeunes, les foulards des visiteuses, le Parisien et la Parisienne sont ici pour voir, mais autant pour être vus. Je refais le tour de l'exposition, juste pour apprécier le public, goûter leur jeu subtil avec les codes, écouter les commentaires sur le peintre, les toiles exposées. Excellent, exquis, je sais d'emblée où je suis, je perçois la fin des vacances qui s'annoncent pour eux, le retour en berline ou monospace tout proche, les dernières impressions des vacances qu'ils veulent emporter avec eux.

Touchant défilé donc, et je me dis qu'il doit être doux de se mouvoir à l'intérieur de frontières à la fois invisibles et néanmoins bien tracées pour ceux qui savent se reconnaître.





dimanche 29 août 2010

Courses à pied : les 25 bosses (Trois Pignons - Fontainebleau)

Je me suis dit hier : je dors bien, je me réveille comme ça ce trouve, et je fais mon record aux 25 bosses.
A 7h00 donc debout, puis départ vers FB un peu plus tard. J'ai amené mon nouveau petit sac à dos, avec biberon intégré, et en plus la détermination d'en découdre avec mes 3h30 pour le circuit entier (aucune bosse squeezée!)

Je commence la course très motivée : température idéale de 12°C, personne sur la route, bonne musique et puis le fait de renouer avec les sensations du physique à fond après 15 jours de travail. Je pars toujours du parking du Rocher Cailleau, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, en me disant qu'un jour je vais tenter la version réputée plus facile, en commençant tout de suite vers les grosses bosses du .... et en prenant le sentier dans l'autre sens. Mais je suis supersticieuse : pour battre mes 3h30, je dois bien rester sur le chemin, et ce n'est pas toujours chose facile, surtout si l'on vient de l'autre côté. Merci tout de même à ceux qui ont rafraîchi les marques pendant l'été ! On les voit bien mieux même s'il reste de petites ambiguités. Pas grave, cela me permettra de gagner encore quelques minutes sur les micro-pertes de chemin la prochaine fois.

Il fait un temps exceptionnel, et la forêt se présente dans sa robe splendide de fin d'été. Les bruyères fleurissent de lilas nuancés, subtils, allant du lilas clair, puis soutenu, jusqu'au rose. Les châtaigners arborent des couleurs profondes, brillantes et imposantes, vert foncées, juste avant de chavirer vers le doré. Et les pins ont déjà laissé tomber tout un tapis d'aiguilles sur lesquelles le pied amortit doucement, avec un petit craquement tout en finesse. Je trouve cependant que le chemin est de plus en plus érodé, probablement dû aux orages et au mauvais temps de cet été qui ont aggravé les effets des passages de hordes de gens (dont je fais partie :o(. La forêt est fragile, et quand je vois les attroupements de promeneurs, grimpeurs, coureurs et autres touristes qui s'y engoufrent, je me demande s'ils sont conscients de cette beauté unique et friable. Bon, le politiquement correct me dit qu'il n'y a pas que l'écolo de base qui est capable d'apprécier, mais pour une fois (de plus!), je n'ai pas envie d'être politiquement correct.

J'essaie d'envoyer dans les montées après mes courses diverses en montagne. Il est certain que les bosses après la croix St. Jérôme cassent un maximum. Mon sac à flotte me fait très mal au dos : à chaque pas, l'eau bouge et cette masse en mouvement irrite incroyablement mes dorsaux. Je dois mal m'y prendre, c'est très certainement un truc à régler. A part cet inconfort que j'oublie dans l'effort, je me sens assez en forme, et je croise et recroise des coureurs - quasi uniquement des hommes, d'ailleurs. Je les ai comptés, environ 25 trailers matinaux - dont une seule autre femme que moi. La question s'impose : mais que font les nanas, bon sang? Il y en a heureusement parmi les marcheurs, mais quand-même, le taux de 2 filles en course à pied par 24 garçons, c'est franchement inquiétant.

Peu importe, ma joie dans le mouvement retrouvé est vraiment intense. J'avance presque comme je veux, je ne me perds plus que très peu de fois, et au bout d'un temps, le pied prend le pli pour atterrir correctement sur les rochers recouverts de sable. J'indique le chemin à plusieurs mecs qui sont assez paumés, même pas certains d'aller dans le bon sens... J'entame le Rocher Guichot, presque le dernier avant la fin du circuit - et j'arrive à la voiture au bout de 3h10 de course. Yesss !! c'est un nouveau record - et qui sait, peut-être la voie ouverte vers un temps en dessous de 3h00?

Midi, je reprends le volant pour rentrer chez moi, j'ai l'impression d'avoir vécu déjà une journée vraiment top. A refaire!!

lundi 16 août 2010

Courses à pied : Solalex

L'entraînement en continu

Je me le suis mis dans la tête : aujourd'hui je courrai jusqu'à l'alpage de Solalex. Pas une mince affaire, puisque je ne l'ai jamais fait auparavant car c'est loin - et il pleut fort depuis X jours, je ne me souviens même plus...

Je pars donc sous la pluie, en montant les chemins dans la forêt de hêtres. Le hêtre, c'est mon arbre préféré, car il devient gigantesque avec les centaines d'années, son écorce est toute lisse et grise, ses feuilles sont d'un vert clair presqu'électrique au printemps et d'un vrai doré à l'automne. Les écureuils survivent à l'hiver grâce à ses fruits. Ici, il y en a un, il est d'un roux magnifique, avec une queue touffue et soyeuse - cet écureuil-là a failli se faire attraper par un chat lorsqu'il s'était réveillé pendant son hibernation, en allant à la recherche de ses caches de fruits de hêtre. Il avait pu se sauver de justesse, en s'accrochant - presque déjà entre les griffes du chasseur - tel un acrobate, aux petites branches à sa portée... 

Il fait très froid pour un mois d'août : 11° C sous une pluie sans interruption - et après peu de temps, mon bras droit qui est plus exposé au vent, ressent une décharge nerveuse électrique à chaque fois que je le bouge. Mes tennis et mon t-shirt sont trempés au bout de très peu de temps de course dans les hautes herbes.
Pourtant, ma semaine passée à la montagne me laisse sentir entraînée, prête à bondir en avant, et je monte assez facilement le chemin parfoirs très raide, jusqu'à l'alpage de Solalex, en passant par le joli village de Gryon. J'emprunte de petites routes, des chemins et sentiers qui semblent être là depuis toujours. C'est un aspect que j'aime beaucoup en Europe : partout, le promeneur a l'occasion d'aller sur des chemins anciens qui semblent s'entretenir par eux-mêmes. En vérité, ce n'est pas le cas : ils ont été tracés depuis des temps immémoriaux, et continuent à être empruntés souvent, ensemble avec les servitudes qui passent devant les fermes, à travers les villages, par delà des terres de propriétaires, pour mener à des pâturages communaux. En Suisse, il est ainsi possible de retrouver des côtés presque communistes où chaque paysan et armailli a le droit de mener ses bêtes à l'herbe mise en commun. L'alpage de Solalex est ainsi encore en possession publique, et chacun est libre d'y aller et venir comme bon lui semble.



Ceci est une grosse différence par rapport aux pays comme l'Australie ou les Etats-Unis qui ont été colonisés à partir de projets majoritairement individuels et de nature propriétale. Si des chemins existent en dehors des centaines de kilomètres de terres clôturées, le promeneur y trouve à coût sûr un panneau indiquant qu'il est obligatoire de rester sur le sentier - autrement, "trespassers will be prosecuted". Rien de tel en Suisse, ni en France ou en Italie. L'individu ici est souverain et la communauté lui accorde un droit de libre circulation.

Mon chemin passe ainsi dans des forêts assez sombres, puis sous la gigantesque falaise du Miroir de l'Argentine dont j'ai fait la voie Zygofolis l'année passée. J'arrive à l'alpage de Solalex, où une fontaine de 1888 m'abreuve d'une eau de fonte de glacier - ma préférée puisqu'elle n'est quasiment pas minéralisée. Encore un acquis européen: ici, l'eau, au nom de laquelle sont d'ores et déjà menées des guerres dans d'autres parties du monde, coule librement, pour qui en ressent la soif et le besoin.

A Solalex, et puisque c'est le mi-chemin, je visite une minuscule exposition d'oeuvres miniatures : des cadres en bois, montrant des reconstitutions de scènes d'alpage, comme celle d'une petite fromagerie sur feu de bois (j'en ai moi-même fait, des fromages de chèvre, quand j'étais petite), des chambres à coucher dans un alpage, des ateliers de taille de bois, des cuisines, des étables, des découpes miniatres de Poïa et des peintures de troupeaux de vaches etc. Tout cela, c'est bien suisse, c'est certain, mais cela m'émeut un peu - si seulement je n'étais pas tellement trempée et frileuse à l'arrêt.

Je redescends en courant rapidement de l'alpage pour essayer de me réchauffer un tant soit peu. Il n'y a pas de voitures, personne à pied, vraiment personne. La pluie m'enveloppe de bout en bout. Je mets 2h45 pour une vingtaine de kilomètres, et 600m de dénivelés au total. En rentrant au chalet, le brouillard s'associe à l'humidité, et c'est un temps presque préhistorique qui m'accompagne sur les derniers kilomètres.

Les gouttes de pluie dégoulinent de mes cheveux, je rentre trempée mais heureuse. La douche tiède brûle comme du feu sur la peau glacée. Encore un vécu qui ancre dans le pur physique, le réel, le basique. Une très bonne journée qui commence ainsi.