lundi 16 août 2010

Courses à pied : Solalex

L'entraînement en continu

Je me le suis mis dans la tête : aujourd'hui je courrai jusqu'à l'alpage de Solalex. Pas une mince affaire, puisque je ne l'ai jamais fait auparavant car c'est loin - et il pleut fort depuis X jours, je ne me souviens même plus...

Je pars donc sous la pluie, en montant les chemins dans la forêt de hêtres. Le hêtre, c'est mon arbre préféré, car il devient gigantesque avec les centaines d'années, son écorce est toute lisse et grise, ses feuilles sont d'un vert clair presqu'électrique au printemps et d'un vrai doré à l'automne. Les écureuils survivent à l'hiver grâce à ses fruits. Ici, il y en a un, il est d'un roux magnifique, avec une queue touffue et soyeuse - cet écureuil-là a failli se faire attraper par un chat lorsqu'il s'était réveillé pendant son hibernation, en allant à la recherche de ses caches de fruits de hêtre. Il avait pu se sauver de justesse, en s'accrochant - presque déjà entre les griffes du chasseur - tel un acrobate, aux petites branches à sa portée... 

Il fait très froid pour un mois d'août : 11° C sous une pluie sans interruption - et après peu de temps, mon bras droit qui est plus exposé au vent, ressent une décharge nerveuse électrique à chaque fois que je le bouge. Mes tennis et mon t-shirt sont trempés au bout de très peu de temps de course dans les hautes herbes.
Pourtant, ma semaine passée à la montagne me laisse sentir entraînée, prête à bondir en avant, et je monte assez facilement le chemin parfoirs très raide, jusqu'à l'alpage de Solalex, en passant par le joli village de Gryon. J'emprunte de petites routes, des chemins et sentiers qui semblent être là depuis toujours. C'est un aspect que j'aime beaucoup en Europe : partout, le promeneur a l'occasion d'aller sur des chemins anciens qui semblent s'entretenir par eux-mêmes. En vérité, ce n'est pas le cas : ils ont été tracés depuis des temps immémoriaux, et continuent à être empruntés souvent, ensemble avec les servitudes qui passent devant les fermes, à travers les villages, par delà des terres de propriétaires, pour mener à des pâturages communaux. En Suisse, il est ainsi possible de retrouver des côtés presque communistes où chaque paysan et armailli a le droit de mener ses bêtes à l'herbe mise en commun. L'alpage de Solalex est ainsi encore en possession publique, et chacun est libre d'y aller et venir comme bon lui semble.



Ceci est une grosse différence par rapport aux pays comme l'Australie ou les Etats-Unis qui ont été colonisés à partir de projets majoritairement individuels et de nature propriétale. Si des chemins existent en dehors des centaines de kilomètres de terres clôturées, le promeneur y trouve à coût sûr un panneau indiquant qu'il est obligatoire de rester sur le sentier - autrement, "trespassers will be prosecuted". Rien de tel en Suisse, ni en France ou en Italie. L'individu ici est souverain et la communauté lui accorde un droit de libre circulation.

Mon chemin passe ainsi dans des forêts assez sombres, puis sous la gigantesque falaise du Miroir de l'Argentine dont j'ai fait la voie Zygofolis l'année passée. J'arrive à l'alpage de Solalex, où une fontaine de 1888 m'abreuve d'une eau de fonte de glacier - ma préférée puisqu'elle n'est quasiment pas minéralisée. Encore un acquis européen: ici, l'eau, au nom de laquelle sont d'ores et déjà menées des guerres dans d'autres parties du monde, coule librement, pour qui en ressent la soif et le besoin.

A Solalex, et puisque c'est le mi-chemin, je visite une minuscule exposition d'oeuvres miniatures : des cadres en bois, montrant des reconstitutions de scènes d'alpage, comme celle d'une petite fromagerie sur feu de bois (j'en ai moi-même fait, des fromages de chèvre, quand j'étais petite), des chambres à coucher dans un alpage, des ateliers de taille de bois, des cuisines, des étables, des découpes miniatres de Poïa et des peintures de troupeaux de vaches etc. Tout cela, c'est bien suisse, c'est certain, mais cela m'émeut un peu - si seulement je n'étais pas tellement trempée et frileuse à l'arrêt.

Je redescends en courant rapidement de l'alpage pour essayer de me réchauffer un tant soit peu. Il n'y a pas de voitures, personne à pied, vraiment personne. La pluie m'enveloppe de bout en bout. Je mets 2h45 pour une vingtaine de kilomètres, et 600m de dénivelés au total. En rentrant au chalet, le brouillard s'associe à l'humidité, et c'est un temps presque préhistorique qui m'accompagne sur les derniers kilomètres.

Les gouttes de pluie dégoulinent de mes cheveux, je rentre trempée mais heureuse. La douche tiède brûle comme du feu sur la peau glacée. Encore un vécu qui ancre dans le pur physique, le réel, le basique. Une très bonne journée qui commence ainsi.

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