mardi 20 décembre 2011

Hibernation

même en absence de neige...

"L’hibernation est un état d’hypothermie régulée, durant plusieurs jours ou semaines qui permet aux animaux de conserver leur énergie pendant l’hiver. Durant l’hibernation les animaux ralentissent leur métabolisme jusqu’à des niveaux très bas, avec la température de leurs corps et des taux respiratoires qui s’abaissent graduellement, et en utilisant les réserves de graisse du corps qui ont été stockées pendant les mois actifs." (wikipédia)
                                                     
Un animal qui hiberne réellement est le loir.

Je me fais loir depuis quelques semaines. Non pas que ce soit parce que c'est réellement l'hiver, ou parce que je suis forcément moins active, mais bien parce que la maladie m'impose un état émotionnel très particulier.
Tout d'abord il me faut endurer. Endurer quelques mois de soins contraignants, endurer l'incertitude, endurer les émotions de tristesse, de peur, de révolte. Endurer aussi les réactions des autres qui sont angoissés devant la maladie.

Ensuite, il faut que je mette mon cerveau au ralenti. Oublier que ça peut mal se passer, oublier qu'il peut y avoir des complications, oublier l'épée de Damoclès qui est dorénavant au-dessus de ma tête. 

Puis je dois me mettre en état d'attente. Attente de l'espoir que ça ira bien mieux bientôt, attendre que le prognostic se construise peu à peu, attendre que je puisse de nouveau mener une vie "normale", "comme avant", alors que rien ne sera plus comme avant.

Et en même temps, l'hibernation c'est aussi la certitude que malgré les apparences, la vie est bien là, elle pulse, à son rythme, pour retrouver le printemps, les bourgeons, le soleil. L'hibernation est donc bien un état d'avant quelque chose, un état d'une subtilité insoupçonnée pour celui qui n'y serait pas passé. Si le coeur bat très lentement, c'est que chaque battement prend une importance beaucoup plus grande. Si les belles émotions émergent, c'est que c'est avec une intensité toute inattendue. Et grâce aux autres, grâce à ceux qui me soutiennent, ces belles émotions sont bien là, présentes, déjà en état de faire leur travail intérieur tout en douceur.

Ce qui me touche tout particulièrement, c'est ce que les oracles ont révélé, quand Florence les a interrogés sur mon devenir. Voici ce que dit le 64ème hexagramme du Yi King "avant l'accomplissement", avec 6 à la cinquième place :

"La persévérance apporte la fortune. Pas de repentir.
La lumière de l'homme noble est véritable.
Fortune.

La victoire est remportée. La force de la fermeté n'a pas été mise en échec. Tout a bien été. Tous les doutes sont surmontés. Le succès a justifié l'action. La lumière d'une personnalité supérieure brille de nouveau et fait sentir son influence sur les hommes qui croient en elle et se rassemblent autour d'elle. L'ère nouvelle est arrivée, et avec elle la fortune. Et de même que le soleil après la pluie rayonne dans une beauté redoublée, ou que la forêt, après l'incendie, reverdit avec une fraîcheur accrue à partir de ses débris calcinés, l'éclat de l'ère nouvelle s'augmente par le contraste qu'il forme avec la misère de l'époque ancienne."

En attendant je me prépare. Et je m'enroule mentalement comme ce petit loir tout doux. L'hibernation, c'est aussi le repos.

jeudi 15 décembre 2011

Les biscuits de Noël des spazzacamini

La recette des "Petits Milanais"

C'est le moment - il est même grand temps - de se lancer dans la confection des traditionnels biscuits de Noël. A la fois un plaisir et une corvée, il n'y a pas de Fête qui vaille si l'odeur de ces délicieuses petites friandises n'emplit pas la cuisine des fées de logis en lesquelles nous, les filles, nous nous transformons année après année, au mois de décembre. L'abondance des bonnes choses, des émotions au coin du feu, la chaleur de l'âtre qui protège, nous héberge, tout cela surgit inopinément mêlé à ces parfums délicieux.

Mais les traditions sont toujours aussi des témoignages de douleurs et peines inscrites dans la chair de ceux qui lèguent leur histoire. Dans le cas des "Petits Milanais", c'est le souvenir de tous ces enfants tessinois, les spazzacamini, mis en servage chez des patrons milanais, pour ramoner au moyen de leur propre corps maigrelet, les cheminées étroites et brûlantes des appartements bourgeois de Milano. Nombre d'entre eux périrent au cours de cette tâche périlleuse et pénible, d'autres furent gardés tels des animaux sauvages, sous-nourris, par leurs maîtres patrons qui les exploitèrent, à l'insu des parents des enfants, pauvres montagnards qui crêvaient la dalle. Une fois par an, les enfants eurent le droit de rentrer. Ce fut à Noël - et ce qu'ils ramenèrent à leur famille en guise de cadeau, ce fut justement ces petits pains milanais.

C'était la Suisse, l'Italie, du début du siècle passé. Triste Histoire, pourtant si proche de nous, racontée pour enfants d'une façon saisissante par Lisa Tetzner (Les frères noirs). Les Petits Milanais transportent pour moi toute une histoire familiale qui est certes un peu différente, mais bien parente, celle des "enfants serfs" (Verdingkinder). Elle est symboliquement inscrite dans la confection de ces biscuits de Noël. Et il est ainsi juste de rappeler et de goûter un tout petit peu, chaque année, d'où je viens, d'où mes enfants viennent, et combien la vie est belle et triste, puissante et fragile à la fois. 

Vous voulez savoir quel goût ça a, les "Petits Milanais"? Cliquez ici (il faut un peu de temps pour que le texte soit chargé, ne désespérez pas) pour la recette précise et ma description ethnométhodologique de cette sorte de biscuits de Noël.   

lundi 28 novembre 2011

lundi 26 septembre 2011

Grimper dans la Vallée d'Aoste (Machabi) : Pilier Lomasti et Paretone

Du Gneiss, lissssssssse

Due giornate in Italia - c'est juste à côté, mais le dépaysement est garanti. Pas seulement à cause des villages dans lesquels les maisons se blotissent les unes contre les autres, les châtaigneraies avec des arbres centenaires et de vraies châtaignes grosses comme des prunes, ou à cause des pâtes qui sont cuites juste comme il faut, et les pêches qui descendent des arbres. C'est surtout parce que les Italiens rencontrés sont tellement accueillants qu'on a envie de rester là pour un bon moment. Dommage seulement que les chambres d'hôtes de la Maison de Noé dans le hameau de Revire au-dessus d'Arnad furent complètes. Du coup, on s'est logés dans la vallée, moins sympa mais des propriétaires charmants et des pâtes fraiches faites maison aux cèpes qui sont à tomber.

Le pilier de Lomasti fut notre choix pour le premier jour : plein sud, avec des voies bien équipées, mais aux cotes sèches, eh oui. Une montée dans une bellissima châtaigneraie, avec un chemin de pierre extraordinaire. Trois cordées sont déjà sur place, l'une notamment dans La Rossa e il Vampirla, la voie la plus connue. Du coup, on attaque Choc-o-drill, plus difficile mais très beau. Ok, je tire sur les clous dans le 6c déversant, d'autant que le Gneiss n'est pas un rocher auquel je suis habituée. Mais je me débrouille pas trop mal, toujours en seconde, j'entends! A côté, les deux cordées italiennes n'hésitent pas à se prendre des plombs, à se mettre au taquet, pour faire fuser quelques "Va fan culo!" bien carabinés. On rigole bien, et je les admire aussi de pouvoir aller ainsi jusqu'aux limites. On descend tout le pilier en rappel au bout des six longeurs, et très vite on est en bas. Casser la croûte au soleil alors que dans les Alpes il a neigé jusqu'à 1600m. C'est trop beau. De retour dans la vallée, on a encore une velléité de faire de la moulinette. Un 6a+ qui est tellement dur que je n'arrive à faire qu'une seule voie. Trop crêvée, et physiquement pas en top forme bien que les Gillardes ne datent que d'il y a un mois...

Le lendemain, on part au Paretone voisin. Là, on est gonflés car on s'attaque carrément à la voie la plus dure du secteur gauche : Sputnik. Le Gneiss n'est pourtant pas moins lisse que la veille, et le guide abandonne presque dans un passage super technique de la dalle de départ. Ca commence bien... Moi derrière je passe mais je n'ai pas vraiment de mérite. La dalle commence à être aprivoisée cependant, et elle amène dans un rocher technique pendant quelques longeurs. Ca passe bien pour moi, jusqu'au crux de la voie avec un 7a que nous faisons, bien entendu, en artif. Mais même pendu aux dégaines, cela reste un 6a+ bien tassé, super physique. Il reste même un maillon rapide d'une autre cordée sur un des points, signe d'abandon - et je les comprends bien. Là encore, les cotes sont sèches pour toute la voie, jusqu'à la dernière longueur en 6a où on a l'impression de se retrouver dans une mesure connue... On sort donc des 10 longeurs que nous avons fait sans manger, tiens, c'est inhabituel pour moi. Et puis - la surprise : le guide a perdu les clés de la voiture. Argghhh, ça fait mal car cela implique un nombre de trucs incroyables. Je dois attraper le TGV à St. Gervais-les-bains à 18h, et il me reste donc exactement 4h30 pour y arriver. 

En fait, l'aventure a commencé à ce moment là : recherche de clés, stop sur route où les voitures passent à une vitesse mortelle (merci au petit jeune qui nous a sauvés au bout de deux km à pied), téléphone à l'hôtel à l'assurance qui envoie finalement un taxi pour me déposer, suite à un trajet en trombe par le tunnel du Mont Blanc, 10 min avant le départ du TGV devant la gare de St. Gervais. Le guide, pendant ce temps, a retrouvé les clés grâce à un couple suisse et la dépanneuse envoyée par l'assurance n'a plus lieu de s'occuper de lui. Bref, tout est bien qui finit bien, mais ça a quand-même sacrément accéléré la journée. 

J'ai pourtant la joie d'avoir découvert un endroit super, un nouveau rocher, et puis le plaisir de pouvoir choisir parmi les voies dures d'un secteur. Une fois de plus je me dis pourtant qu'il vaut vraiment mieux avoir de la marge quand on s'aventure sans guide de montagne en terrain inconnu.  

samedi 27 août 2011

Never let me go

Kazuo Ishiguro sur la fin de l'innocence et la déchirante fragilité de la vie

Un internat coupé du monde, des élèves protégés et sensibles, et le récit de souvenirs d'une enfance qui peu à peu doit se confronter à l'unique but déterminant la raison d'être de ces pensionnaires. Un mystère est posé d'emblée, et dès les premières pages, le lecteur est mu par des émotions qui vont jusqu'à lui déchirer le coeur.

Kazuo Ishiguro décrit avec une main de maître les états d'âme subtils et sensibles de la jeune Kathy qui se remémore sa vie dans l'internat de Hailsham, avec ses amis Ruth et Tommy qui subissent le même sort qu'elle. Alors qu'ils avancent inexorablement vers ce destin qu'est le leur, ils rêvent d'y échapper pendant quelque temps, du fait qu'ils s'aiment.

Ce livre (en français Auprès de moi toujours), émouvant et captivant à la fois, pose les questions de l'ineluctabilité du sort, de la liberté individuelle, de l'importance du lien et de ce qui fait l'essence-même de l'humanité. Sur fond d'une Angleterre bien particulière des années 1990, nous voilà interpellés très direcement : Comment évitons-nous de nous poser ces questions fondamentales dans un quotidien où l'impression de liberté individuelle est érigée en dogme aveuglant ? Avons-nous vraiment plus de temps, d'options, de possibilité et de forces pour réaliser nos rêves que ces créatures au destin scellé ? Que faisons-nous au fond de ces années et possibilités qui nous sont imparties ? Et comment montrons-nous tous les jours que nous avons véritablement une âme, une âme humaine qui nous élève tout en élevant les autres ? L'amour semble la seule possibilité pour vivre une vie digne de ce nom - si nous ne le réalisons pas trop tard...

"Never let me go" est un chef d'oeuvre qui nous pousse à entrevoir les frontières de notre propre vie. 


Références :
- Ishiguro, K. (2005), Never let me go, London: Faber and Faber 
- Ishiguro, K. (2006), Auprès de moi toujours, Paris : Editions des Deux Terres

mercredi 24 août 2011

Grimper dans le massif du Dévoluy : les Gillardes

Ahh, le taquet !

Les deux jours qui terminent la saison d'escalade veulent être vécus sur le mode "apogée". Et, bien entendu, il s'agit aussi de m'achever un peu, avant de reprendre la vie professionnelle suite à un long été de quasi-éclipse de ma part.

Les Gillardes sont le spot où cela doit se passer. De loin, en approchant le massif, on a l'impression d'être en face de deux "Half Domes" du Yosémite. Les parois verticales, déversantes mêmes, de 450m de dénivellé sont archi impressionnantes. C'est le coin des base-jumpers, ici, et cela n'étonne guère.

La première voie au nom sympathique de "Association de Bienfaiteurs" est la plus accessible de cette falaise, malgré des cotes jusqu'au 6c+. Je suis un peu impressionnée, mais finalement, j'arrive à passer le crux avec juste un tire-clou. Le rocher est varié sur les 10 longueurs : des strates fines et identiques en descente, il évolue vers des rochers plus distincts, avec des strates de calcaire/silex alternants, présentant des prééminences qui se prêtent superbement aux prises de main et de pied. Dernière longueur un pouding - qui n'inspire cependant peu confiance car partout on voit des traces de galets qui se sont descellés. Le tout est vertical, engagé, avec peu de points, et une fois de plus je suis très bien à ma place en seconde de cordée...

Le lendemain après cette mise en bouche nous sommes partis à l'aube pour "Fort, feignant, frileux", une voie aux cotes moins impressionnantes (6a+, deux longeurs 6b+), et je suis assez guillerette au début des 14 longeurs. Je déchante cependant assez vite : je me souviendrai du début en 5c, puis de tout le reste en 6a+. J'ai compris ce que veut dire une longeur de 50m, homogène dans une cote, verticale et déversante par moments... Ah, l'humilité siéd toujours bien. Là encore comme la veille, il faut vraiment grimper engagé pour le premier, car les points sont espacés de 10m, et l'on est carrément content de les trouver. Inutile de dire que je suis au taquet, et obligée de tirer sur les dégaines dans les longeurs en 6b+.

Mais le clou, c'est finalement la L13 en 6a+, alors qu'on croit avoir quasiment sorti la voie : après un dièdre technique et lisse suit une traversée horizontale sous un toit dans le rocher vertical, avec une fine fissure et RIEN pour les pieds ! En face de cette difficulté, je reste carrément plantée là, pendue au spit avec ma vache et la corde, et je me dis que ça y est, je n'y arrive plus, mes petits bras sont complètement daubés. J'aurais dû m'en douter car le guide également en a bavé juste avant moi... Ceci dit, le salut est en haut, et la pensée "c'est cuit" n'est pas admissible. Je commence donc à bricoler, à me décorder sur un brin que je fais passer dans l'oeil du spit - histoire d'éviter de prendre le pendule. Puis je défais ma vache et j'essaie d'arriver dans la ligne de faille du piton suivant dans lequel passe l'autre brin de la corde. Je me sens comme une saucisse qu'on fait fumer dans la cheminée, bien accrochée, la honte quoi. Puis une fois que je suis proche du piton, je rappelle le brin de corde qui passe dans le spit précédent et je me réencorde proprement. Tout en tirant sur la corde, j'arrive à me hisser péniblement vers le prochain clou... Quelle manoeuvre peu glorieuse, mais bon, j'ai réussi à franchir l'impossible, avec quelques larmes, et surtout très furieuse que tout cela ait été pourvu avec une cote aussi "minable"... En lisant les commentaires sur camp-to-camp, personne ne parle de cette incohérence dans la cotation, et la difficulté de ce passage. Définitivement, à part moi, il n'y a que des héros dans cette voie ! Bref, la dernière longeur de nouveau dans le puding et un petit surplomb de "rien du tout" en 5c et au bout de 10 heures dans la voie, nous sortons enfin.

FFF est très certainement la voie la plus difficile que je n'ai jamais faite. Au dernier relais, j'ai regardé vers le bas, et je n'ai pas pu voir le socle de la paroi, tellement elle est surplombante. Et cette aventure me dit aussi qu'il faut sacrément se méfier des cotations, en fonction de l'année d'ouverture de la voie. Si tu as dans un topo un 'Dièdre-cheminée, 4+' avec une ouverture dans les années '50, tu es sur que c'est complètement banzaï comme course. Et puis avec l'arrivée de l'escalade libre, dans les années '80, tu as des voies super engagées et des cotes du genre "même pas difficile", car fallait quand-même prouver aux potes qu'on y arrive finger-in-ze-nose ! Donc, je me répète, dans ce sport, "humilité" est toute proche de "humiliation", et vaut donc mieux prévoir large lorsqu'on s'engage dans une voie de ce genre, eh oui, petit scarabée.

Au total, je suis très fière d'avoir réussi, à ma façon peu orthodoxe, certes, une voie aussi superbe et difficile dans ma troisième année d'escalade. Je rentre chez moi les avant-bras en compote, et je suis tellement crêvée la nuit tombante que je n'arrive même pas à dormir... Ah, que c'est doux de bosser trankilou derrière un bureau. Et pourtant, au bout de trois jours, j'ai déjà envie de repartir. C dingue !

A recommander : Hôtel La Neyrette à Saint Disdier (à 5 min. des voies), avec un excellent dîner, et, pour ceux qui se lèvent tôt, un plateau petit déjeuner superbe et généreux ! On peut aussi y laisser les affaires pendant la journée, car "ça" casse sur le parking en bas de la paroi...

lundi 15 août 2011

Escalade au col de Grimsel (Eldorado), Suisse : Motorhead

Une voie mythique et d'un esthétisme rare

Les frères Rémy ont bien secoué l'escalade classique, ne serait-ce qu'avec les noms des voies. Motorhead est en effet un bijou que des centaines de cordées gravissent chaque année. Ce fut un rêve pour moi aussi, car les lignes pures et belles de ce rocher granitique m'ont déjà impressionnée lorsque j'avais fait "Schweiz Plaisir" au même endroit, mais au nom beaucoup moins drôle. Ben oui, les noms des voies, c'est important, et les ouvreurs excellent souvent avec une ingéniosité comique.

Donc nous voilà de nouveau partis à l'aube dans cette vallée superbe, pour accéder aux voies au bout de deux heures de marche sur un sentier au dessus d'un lac de barrage. Ce sentier avait dû être créé par la compagnie électrique étant à l'origine du mur qui ferme la vallée. Comme nous n'avons pas traîné malgré des sacs lourds (plein de matos et moi trop de fringues par peur du froid), nous sommes les premiers au pied de la voie.

Sans tarder, nous attaquons - et j'éprouve déjà une sacrée difficulté au premier dièdre, très beau, certes, mais d'un liiisssse... Après l'escalade sur le calcaire, faut s'habituer de nouveau au granite ! Puis coup de stress pour moi d'un autre ordre : la deuxième cordée arrive également au pied de la voie. Ahh, pourvu que je ne les retarde pas, c'est mon angoisse à moi. Pourtant, j'ai déjà bien attendu, moi aussi, derrière une autre cordée, et je n'en suis pas morte. Mais bon...

Les frères Rémy sont aussi champions de l'escalade engagée, et cela se déploie merveilleusemnt ici. Les longueurs sont parfois difficiles à protéger et bien que la paroi soit inclinée, l'engagement pour le premier est important. Le second a moins à faire, juste suivre, il n'y a pas tant de force à mobiliser. Les lignes sont d'une beauté rare, et l'on est étonné de pouvoir grimper ce genre de voie dans son propre pays et non pas quelque part, loin très loin, à l'autre bout du monde.

En dessous de nous, le nombre de cordées augmente, et je déstresse car nous gardons bien le lead, surtout après les longeurs de dièdre difficiles. La nature est sublime, et nous l'apprécions d'autant plus que quelques semaines auparavant nous avons été déboutés par la pluie, le brouillard et le froid. En L12, un pas difficile couronne véritablement cette ligne de faille naturelle du rocher. C'est splendide bien que toujours très lisse.

Peu après, les 14 longeurs sont derrière nous, nous sommes dans le silence de cette vallée entourée de montagnes enneigées. Le sentier de retour est indiqué par de beaux cairns, et il passe très vite dans des herbes trempées d'eau qui cherche son chemin vers le lac. Nous en avons plien les chaussures, mais peu importe, au bout d'un moment, on ne sent plus rien.

Le retour me semble long, très long, mais la beauté du sentier compense les nombreux hauts et bas que trace le chemin. J'arrive au barrage moulue - et c'est à ce moment précis que nous entendons une mélodie toute nostalgique au cor des alpes. En effet, en bas et prenant le mur comme paroi réflechissante, 14 joueurs d'Alphorn nous font un accueuil très hélvète. Que de souvenirs d'enfant qui remontent, c'est très émouvant pour moi. Bref, journée belle et intense, tout ce qu'il me faut.

vendredi 5 août 2011

Monet au Musée Marmottan et dans les collections suisses

Expo d'été à la Fondation Gianadda, Martigny

Ce livre est un labyrinthe, chemin qui avance tout en faisant du sur-place, revient sur ses pas, continue, tourne, piétin, débouche sur un autre chemin qui se croise avec le précédent, à moins que le précédent soit un autre et que le temps passé dans ces interrogations qui n'aboutissent qu'à d'autres interrogations soit l'illusion d'un voyage qui reste toujours sur place.
Maurice Béjart, La Mort subite

On fait la sortie culturelle oblig lors d'une journée où il fait mauvais - donc n'importe quand en ce début août. Et on se dit que, si on en a vu, du Monet, il est toujours aussi beau à redécouvrir car c'est bien "le peintre qui sut toucher l'intangible"(1). L'expo à Martigny nous promet donc cette fois-ci plus de plaisir, moins d'injonctions de "devoir se cultiver", que pendant d'autres saisons.

Les oeuvres les plus surprenantes dans cette exposition d'une cinquantaine de tableaux sont ceux qui proviennent de collections privées. Un Monet perceptible dans ses différentes étapes et phases d'exploration nous promène à travers son époque. Les faubourgs de Paris, tout encore en nature, en brume, en roseaux au bord de la Seine, font passer un parfum doux et un peu mélancolique de nostalgie. Brumes sur la Seine, la Seine à Argenteuil... autant de vues sur un passé tout proche, qui pourrait être le nôtre, et qui pourtant ne l'est plus.

Plus divers, plus minutieux et appliqué dans sa première phase de vie, Monet s'intéresse à la fois à la nature et l'industrialisation anvançante. On le sent avide de la vie, explorateur des rapports de l'homme à la nature, tout en donnant cette incomparable touche qui est la sienne. On ressent aussi dans son oeuvre qu'il y arrive, qu'il est relié au monde, qu'il y a ses entrées, et qu'il y est reconnu.

Lorsqu'il a perdu son premier fils, et qu'ensuite il se retire à Giverny, ses tableaux deviennent plus monotones, d'après mon goût, en même temps qu'il s'avance peu à peu vers l'Art Abstrait. Les nymphéas, le pont japonais, les saules pleureurs, la roseraie... ces tableaux laissent transpercer pour moi un homme qui a largement goûté à la vie et qui s'en contente, s'en fatigue peu à peu.

Un passage par la collection d'estampes japonaises que le peintre a faite pendant son vivant me révèle des oeuvres remarquables, stylisées mais toutes proches de la vie. "Mère attentive au jeu de son enfant" (Utamaro, 1806), "Femme dans un barque surveillant la baignade des enfants" sont des scènes que je n'aurais pas devinées ici. Et pas non plus les quelques Hokusai qui font partie de cette belle collection.

Pour finir, un passage dans une autre aile nous promène parmi des photographies de Maurice Béjart, en action, aux beaux yeux malicieux et espiègles, en quête de cette vérité de la vie telle qu'il l'a exprimée dans "La Mort subite".(2) Etrange paradoxe, mais c'est précisément cela qui est si inspirant. Et avec les mots de Nietzsche qui parle des mêmes tourments : Partout, rien que les vagues et leur jeu. Tout ce qui fut jamais malaisé a sombré dans l’azur de l’oubli. Mon canot paresse au port. Tempête et traversée – comme c’est oublié! Espoirs et vœux se sont noyés; l’âme lisse, lisse la mer. (Friedrich Nietzsche)

(1) Octave Mirebeau, « Claude Monet » in L’Art dans les deux mondes, Paris, 7 mars 1891, dans Dossier de Presse, Fondation Pierre Gianadda, été 2011
(2) Maurice Béjart, La Mort subite, avec Gaston Berger, éditions Seguier, 1990

lundi 1 août 2011

Escalade au Miroir d'Argentine : Mamba

Magnifique - et looooongue !

J'avais un rêve depuis un moment : faire l'une des voies difficiles au Miroir d'Argentine que je regarde si souvent. Après Zygofolys il y a deux étés, Mamba me paraissait véritablement deux crans au-dessus. De fait, 16 longueurs de cordes bien étirées, quasiment tout entre 6a et 6c, avec deux 5c à la Frères Rémy, soit "rudes" - donc un projet superbe.

Bel entraînement avant, attente d'un beau jour (enfin !) et nous voilà partis. Un peu de stress à l'approche car d'autres cordées montent aussi, et nous essayons de leur mettre la press, histoire d'être les premiers dans la voie. Mais ils bifurquent vers la gauche, où se trouvent les voies plus faciles, et nous sommes les seuls. Heureusement, d'ailleurs, car les chutes de pierre menacent ceux qui grimpent derrière. Nous voyons même de la poudre blanche sur le sol, et nous nous disons que quelqu'un doit avoir perdu un sacré sac de magnésie. Que nenni, ce sont les impacts des rochers qui tombent et qui réduisent les cailloux par terre en farine blanche toute fine.

La fissure en 6b avec laquelle débute la voie est ardue, d'autant que le rocher n'est pas tout à fait sec. En fait, les six premières longueurs nous donnent du fil à retordre car elles sont raides, un peu glissantes, physiques ou très lisses, ou tout à la fois. Vers midi trente nous avons encore 10 longueurs devant nous, tellement on a bricolé auparavant. Pas certains du coup de terminer :o( Mais on met le paquet, d'autant que la paroi se couche par la suite, et nous accélérons franchement. Et je triche un peu dans les 6c, avec le prétexte qu'il ne faut pas traîner... Non, visiblement, j'ai encore du taf pour faire ce niveau proprement, mais j'y travaille !

Les longueurs sont exposées pour celui qui grimpe en tête (donc pas pour moi !), mais toutes belles, assez techniques et parfois athlétiques. Les petits bras sont mis à contribution jusqu'en haut, lorsque le rocher se redresse de nouveau, sous le Cheval Blanc. C'est vraiment magnifique, cette paroi, les relais sont confortables et permettent de contempler tout le Massif du Miroir qui est impressionnant.

A 16h30, nous avons terminé la dernière longueur assez "tricky", histoire de nous achever les bras - Ouff, nous n'aurons pas à abandonner ! Au relais sommital, nous continuons à nous hâter, car le prériple ne sera terminé que lorsque nous aurons effectué les rappels jusqu'au bout. Donc concentration max exigée !

Heureusement, les relais sont faciles à trouver (enfin, pour le guide, moi j'ai tout oublié dans le stress), la corde ne se coince jamais, seul danger : les chutes de pierres qui sont importantes, lorsqu'on ravale la corde. Mais le guide fait tout cela comme un chef, moi j'essaie de me rendre utile, et on arrive en bas sains et saufs. Un grand Merci à lui !

Déjà pendant, mais surtout après la course une euphorie s'empare de moi qui dure plusieurs jours. Et qui me fait planifier plein d'autres courses. C'est trop court une seule vie !

dimanche 24 juillet 2011

Dolce far niente

Un Art qui m'échappe...

... femme postmoderne que je suis.

Les vacances sont là pour se remettre en forme, c'est entendu. Or, personnellement je me remets en forme en faisant de la course à pied, de la montagne, de l'escalade, en rattrapant le boulot que je n'ai pas pu écluser en temps de travail, en préparant les exams de septembre, en traitant ma liste de mails, et si j'ai le temps, je lis. Bref, plein de choses qui donnent BONNE CONSCIENCE à la névrosée que je suis.

Mais au fond, de quoi pourrait-on rêver (je n'ose la forme personnelle "je pourrais rêver") ?
Eh bien de simplement ceci : far niente, vraiment far niente.


J'ai du être comme ça, dans une vie antérieure, où je serai comme ça dans une vie future. Pour l'instant, j'assume.

samedi 23 juillet 2011

Life towards the void

Bret Easton Ellis' "Less than Zero", "American Psycho", "Imperial Bedroom"

On ne sort pas indemne d'une lecture d'Ellis. Au contraire, l'auteur laisse le lecteur dans un état hypnotique, sans qu'il puisse échaper de la progression du récit qui, inexorablement, chemine à partir de l'insipide tout droit vers l'abîme.

Ce garçon à l'allure de dandy gentillet est en fait doté d'une imagination des plus féroces. D'un voyeurisme crû et sans jugement aucun, Bret Easton Ellis livre au lecteur tout ce que celui pourrait lui-même imaginer de pire, sans jamais vouloir se l'avouer. Là, il n'y a que franche énonciation de ce qui peut germer dans un cerveau humain. Et le lecteur suit, ipso facto coupable. 

Ellis ne nous épargne à aucun moment notre propre travail psychique en face de l'horreur, conçue par l'homme, envers l'Autre, en refusant de prendre un parti qui serait gentiment édulcoré par la morale. Rien dans l'écriture d'Ellis ne condamne ce qu'il montre dans une lumière crue, et son moralisme est précisément situé là.. C'est le lecteur qui se voit tout d'abord dérangé, voire ennuyé, puis choqué, pour être irresistiblement attiré par ce que ces décennies de fin et de début du siècle peuvent produire de plus glauque. Et bien qu'il se dise d'abord heureux de faire partie d'une bien autre réalité , une part de lui sait reconnaitre ce qui se trame sous ses propres yeux.

Ellis lui-même ne s'épargne pas. Recevant des menaces de mort suite à la publication de "American Psycho", il continue à écrire dans la même veine, même si la cruauté n'est pas autant à l'apogée. Les personnages se suivent et se croisent d'un roman à l'autre.  A la question de "qui a inspiré Patrick Bateman"*, il répond "mon père"... Bref, l'horreur, le vide, le néant peut se trouver dans la famille proche, autour de soi, en soi.

Attention toutesfois d'élaborer suite à l'ingestion d'un de ses bouquins : comme le disait Nietzsche, "Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi." Le lecteur, au bout des pages, connaît son propre état abîmé - et Ellis, lui, il en est où ?

Bret Easton Ellis' official blog by Randomhouse


jeudi 21 juillet 2011

Message noir à l'intention des non-psychanalysants

... et autres adeptes de TCC

Je lis, ici et là, des articles qui questionnent, de nouveau, l'efficacité, voire l'existence de la psychanalyse. Même dans une entreprise comme Centrum Terrae, qui s'occupe du "bien-être des salariés", il est de bon ton de prétendre que "plus de 2 ans de psychanalyse rendent malade une personne".

Ah que ce "psychoanalyst bashing" est de bon aloi, on se sent tellement supérieur de ne pas céder soi-même à cette introspection partagée, de ne pas vivre les affres d'un transfert jouissif et angoissant à la fois, de ne pas être désarçonné par la parole dans un vide comblé de soi, de ne pas être forcé de soutenir une aventure du Moi dont on ne connaît ni les méandres ni l'aboutissement.

Car, bien entendu, il est beaucoup plus commode de parler en termes d'efficacité, pour essayer de savoir combien "ça va durer", dans quel état on en sort, de l'engagement (minimal, si possible) il faut compter, de l'argent que l'on va devoir aligner (si possible remboursé par la collectivité), de connaître des résultats tangibles, d'entrevoir la "guérison". Cela fait le lit des thérapies cognitivo-comportementales, qui semblent parfois être construites sur un raisonnement de "gagnant-perdant". En fait, je me suis rendue compte que je confondais souvent TTC avec TCC. On - en général hilarant - m'a fait la remarque que les deux n'avaient rien à voir. Évidemment. Peut-être, probablement. Et je me suis sentie assez ridicule, en effet, mais je n'en suis plus si certaine, aujourd'hui, que ce "on" ait raison.

Ce qui se joue en psychanalyse est radicalement différent de ce qui fait l'essence des thérapies cognitivo-comportementales. Cette dernière permet certes de renforcer un Moi défaillant pour qu'il puisse être aux prises avec une société hypercompétitive, exigeant l'autonomie et le bonheur comme un dû, un devoir, un but en soi. Ainsi, la santé mentale est comprise comme "l'absence de toute maladie".

Une psychanalyse, elle, voit les choses autrement. Comme le dit Winnicott, "La vie d’un individu sain se caractérise autant par des peurs, des sentiments conflictuels, des doutes, des frustrations que par des aspects positifs. L’essentiel est que l’homme ou la femme se sente vivre sa propre vie, prendre la responsabilité de son action ou son inaction, qu’il se sente capable de s’attribuer les mérites d’un succès ou la responsabilité d’un échec."

La psychanalyse vise donc à rendre la paix à un Moi qui sera forcément tourmenté, car le vie se joue là, dans cette fournaise des contradictions, des peurs, des joies, des angoisses et des certitudes éphémères. Mais si ce Moi doit exister (ex-ister) avec des hauts et des bas, le chaud et le froid, le soleil et les ombres, la psychanalyse essaie de faire en sorte que les effets de ces fluctuations restent là où ils doivent rester: chez celui qui les vit, et non pas, sous l'effet de projections, clivages, dénis, identifications, annulations et autres mécanismes de défense, qu'ils soient déposés, largués, évacués, chez l'Autre qui ne servirait ainsi que de réceptacle commode. Bref, l'analysant apprend peu à peu qu'il s'occupe de ses propres m... et qu'il ne les refile pas d'une manière indue à son prochain.

C'est quand-même pas mal, non? Si on en faisait le nouvel impératif catégorique ? Nous ne sommes finalement pas très loin de Kant qui le dit d'une manière plus élégante : "Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen".

Avis à bon entendant...

lundi 13 juin 2011

Escalade en Bourgogne : Cormot

avec les potes, le nec + ultra !

Eh oui, c'est grâce à eux que je découvre cette falaise qui est disposée en forme de cirque. Nous suivons tous Steph qui a l'air très sûr des chemins qu'il faut empreinter, et du coup nous nous perdons pour aboutir sur un sentier magnifique qui longe toute cette belle suite de secteurs. Comme quoi, "ne demande pas ton chemin à quelqu'un qui le connaît, tu risques de ne pas te perdre !"

Dans le secteur Kim de Cormot, nous déposons le matos. Je suis morte de peur, car je stresse toujours, surtout avec des gens avec lesquels je n'ai jamais grimpé. Et de toute façon, il m'est très difficile d'aller en tête. C'est là que les amis sont vraiment chouettes, car il n'y a rien à prouver. Eux, des bloqueurs très forts, perdent aussi un, parfois plusieurs niveaux, préfèrent parfois aussi grimper en second, et comme on est vraiment là pour passer un bon temps ensemble, tout cela n'a aucune importance. Le soir, nous dormons dans le châlet du CAF à Vauchignon, et je maintiens fermement que, quand on n'a rien mangé pendant la journée, un plat de pâtes avec une boîte de lentilles et petites saucisses, c'est délicieux !!

On écume le secteur pour grimper le lendemain à Rémigny, un bien plus petit site non loin de Chagny. Et pour moi l'occasion de faire deux voies faciles en tête (4+, et 5b :o), ce qui ne m'empêche pas d'avoir la "machine à coudre" dans les genoux car les points sont assez éloignés. On est entourés de gosses, de pompiers en exercice Jumar, mais l'orage gigantesque dissipe toute cette foule, y compris nous-mêmes.

Troisième jour, mon anniv qui commence avec des croissants tout frais et des "Coucougnettes" (en chocolat, je rassure !), on retourne sur Cormot pour finir le secteur Kim. Encore une fois, pas de stress, on ne cherche pas midi à 14heures et on revient là où on a aimé. C'est vraiment top, cette ambiance cool, j'adore, je découvre qu'on peut faire comme ça grâce aux amis. Et du coup, avec la belle nature, il y a quelque chose de magique dans tout cela.

samedi 11 juin 2011

Eat, pray, love

ou là quête du vrai Moi...

... après des années de vie avec un Faux Self. Elizabeth Gilbert donne beaucoup d'elle-même dans ce livre autobiographique - qui me ressemble tant en ce moment.

Après un mariage brisé, une histoire d'amour compliquée et douloureuse dans sa fin, il ne reste qu'une femme perdue, frénétiquement à la recherche d'un équilibre et d'une vérité qui lui échappent. Vouloir lâcher prise est une chose si difficile, car cela vaut, bien entendu, à une chute libre pour se retrouver fracassée sur le sol.

Sauf que, quand on est déjà tellement cassée, le lâcher prise devient la seule option possible. Oser véritablement ressentir la douleur de ce qui n'est plus, ce qui ne sera jamais, cela revient à cette recherche tantrique dont j'ai déjà parlé. Et cela représente aussi l'autre versant de cet amour dont on demande de quelle texture il est fait.

Le séjour de Liz en Italie m'inspire particulièrement, car cette vie-là se fait dans un environnement joyeux, beau, bon (la nourriture) et raffiné, avec des rencontres sincères et surprenantes. Vivre dans un Ashram en Inde, c'est déjà beaucoup moins pour moi, mais je fais une psychanalyse à la place, donc je m'en sens dispensée ;o). Intégrer plaisir et divinité à Bali, c'est la dernière station de cette femme à la recherche de "tout".

Pour moi, ce serait plutôt aller vers l'aventure quelque part où il y a des blocs pour grimper. Aller à Bishop l'été prochain, pendant deux mois, ce serait un moment idéal pour me retrouver face à moi-même, seule presque la première fois de ma vie. L'autonomisation de soi, cela fait peur, car quelque part menace la solitude, la vieillesse, la déchéance sans le regard de personne. Et nous savons depuis George Berkeley que "Esse est percipi" (Etre, c'est être perçu). Donc là encore, oser abandonner toute volonté de contrôler quoi que ce soit, se présenter devant "Dieu" comme le dernier jour de sa vie, en n'ayant plus aucun projet pour soi ou pour les autres. Je sais que c'est cela qu'il y a à faire, mais c'est tellement difficile.

Disons qu'il y a "Work in Progress"...

Gilbert, E. (2006), Eat, pray, love - One Woman's Search for Everything Across Italy, India and Indonesia, New York: Penguin Books
En langue française : Gilbert, E. (2008), Mange, prie, aime - Changer de vie, on en a tous rêvé... Elle a osé, Paris : Calman-Lévy
Film du même nom avec Julia Roberts dans le rôle de Liz

vendredi 27 mai 2011

C bô !

... un cytomégalovirus (le virus du baiser)

N'empêche que ce salopard m'a foutu dedans depuis 7 semaines maintenant. Suite logique d'une histoire d'amour triste...
Je reviens et je pète tout !
D'ailleurs, avec un nom pareil, faut pas s'étonner de prendre des buts à la fin ! Cytomégalovirus, mon oeil !



Encore une maladie que mon frangin va découvrir "grâce" à moi et dont la conscience va faire qu'elle devient "attrapable" pour lui. Mais non, ptit loup mon frérot, tu n'es pas cablé comme moi ! Le corps qui prend le relais du psychisme souffrant de trop, c'est ma spécialité - et je m'en occupe sérieusement.

mercredi 25 mai 2011

La B.A.

... d'une groooosse conne

Il se trouve que je suis clouée sur un lit d'hôpital, avec une fièvre de cheval inexpliquée. Il se trouve aussi que j'ai une petite voisine martiniquaise qui souffre l'enfer - et que moi aux premières loges de sa souffrance, je ne peux que compatir, tout en essayant de m'en protéger au mieux.

C'est de toutes façons ça, l'hôpital, depuis que je suis arrivée aux urgences : une espèce de Cour des miracles, avec des p'tits vieux qui regardent d'une manière totalement hébétée, ne comprenant plus le monde et ce qui leur arrive. Des vielles édentées à la peau diaphane, respirant juste ce qu'il faut pour survivre encore un peu. Des plus jeunes, plus vigoureux face à la gangrène de la maladie qui finit par avoir raison de la vie. Il y en a un en particulier, je pense d'abord qu'il est en train de téléphoner pour résoudre quelque problème compliqué où il ne trouve pas le bon interlocuteur. Or, je me rends compte qu'il mène à lui tout seul un dialogue imaginaire, musclé, pour ne pas dire grossier, avec un destin qui s'acharne, kafkaïen, contre lui. Malgré l'appel au calme des infirmiers et brancardiers, rien n'y fait, il ne se calmera pas, eh ben non quoi - et merde encore!!!

Il se trouve aussi que la misère humaine attire toujours tout un tas d'individus suspects qui aiment s'en repaître. En l'occurrence, ce matin-là, une dame au pantalon façon "golf" et au t-shirt col remonté comme il se doit dans la bonne société versaillaise, entre avec entrain dans la chambre où je suis, avec ma voisine qui gémit, pète et pisse comme elle peut. La dame arbore un badge "l'autorisant à" je ne sais quoi, mais en tout cas, elle prend l'air autorisée, de plus haute instance.

"Bonjour Mesdames, je suis visiteuse d'hôpital - oh, je vois que vous travaillez ?!" lance-t-elle en un seul souffle. Je ne dis rien, je n'ai rien demandé, et du coup, elle va voir ma petite voisine.
"Bonjour Madame, je suis visiteuse d'hôpital, je viens vous écouter, vous êtes là depuis quand? Et vous avez quoi comme maladie?" Ma voisine est quelque peu désemparée devant l'énergie déterminée de cette quinquagénaire. Pourtant, elle répond gentiment. "Vous êtes mariée? Vous avez des enfants? C'est dur votre maladie? Vous arrivez à travailler?" Toujours le flot de questions qui s'abat sur la pauvre voisine qui n'a rien demandé non plus, tout comme moi. A peine a-t-elle répondu avec un mot, la bourge proprette repart revigourée par la réponse, pour lancer un autre assaut de questions. Mais bon, faut pas trop traîner non plus, car il y a comme ça tout un hôpital à "faire" - donc l'intérêt de la Versaillaise tombe vite. 

Elle se tourne vers moi, estimant que ma voisine ne peut plus rien lui apprendre d'intéressant. Mais elle est un peu hésitante, vu que je lui adresse carrément des regards hostiles. Même scénario, pourtant : "Vous êtes là depuis longtemps? Arrivée par les urgences?" Et là, elle se lance - les yeux pleins d'espoir d'en avoir peut-être pour son compte - dans ce qui la disqualifiera définitivement : "Ca doit être beaucoup d'émotions, non?" Mon regard est noir, je continue à bosser sur mon ordi pendant que je lui lance "je gère, Madame, je gère". Du coup, elle se casse enfin, ouff, c'est fini tant pour moi que pour elle, et elle peut continuer sa charité dont elle fera certainement part à ses congénères, lors du prochain déjeuner bridge. Et elle aura très certainement aussi une pensée émue pour elle-même le Dimanche suivant, à l'heure de la Messe, lorsqu'il s'agira de faire l'inventaire de toutes les bonnes actions de la semaine.

Ce que je regrette, moi, c'est de ne pas lui avoir dit que sa façon de faire intrusion dans la vie des gens en grande fragilité, c'est de l'ordre de l'irresponsabilité la plus totale. Qu'une alliance entre un écoutant et un écouté est une chose éminemment fragile qui se tisse tout tout doucement, dans le calme et la confiance. Et que, a contrario, elle n'a même pas pris la peine de demander l'autorisation de poser des questions. Que sa façon de feindre à la fois l'intérêt tout en montrant son empressement d'en finir avec un patient donné, relève du cynisme complet. Et lorsqu'on incite les gens à ouvrir leur coeur en leur posant des questions sur leurs émotions, là faut être à la fois clair sur ses propres motivations à avancer sur ce terrain, et certain de pouvoir accueillir ce qui risque de venir.

Le pire, justement, et cela restera certainement inaccessible à jamais à cette pauvre débile, c'est quelle adore, au fond, entendre ces récits tout en se croyant à l'abri, elle. Voir ces malades en détresse, voir les gens alités dans leur pauvre humanité misérable et sale, et elle du bon côté, debout, propre sur elle, "in control" - voilà qui la fait véritablement jouir, au plus profond de son psychisme malade.

mardi 3 mai 2011

Haute Montagne : Aiguille du Midi, Tour Ronde

Des bavantes sous le regard du Mont Blanc

Faut être un peu gonflée, tout de même, pour débarquer de Paris la veille et le lendemain grimper à l'Aiguille du Midi. Il est vrai que j'ai cette croyance que j'arrive à faire ce à quoi d'autres ne parviendraient pas. Mais, pour ce coup-là, je vais payer mon complexe de supériorité par 7 semaines de fièvre, sauf que je ne le sais pas encore.

Mon guide me propose la voie Baquet Rébuffat (TD+) et qu'à cela ne tienne, on s'y lance, vers 13h00, une fois débarqués du téléphérique et descendus à ski au pied de la voie. Le granit sous le soleil de ce mois d'avril a gardé la chaleur, le toucher du rocher est extra, et la voie se dissine avec une grande pureté. Je ne me rends pas franchement compte de l'altitude, sauf que les avant-bras se mettent en position "bouteilles" très rapidement. Ce Rébuffat, même s'il est monté ici avec des échelles et autre matériel artificiel, ce fut quand-même un mec hallucinant d'audace et de compétence ! La voie est technique, athlétique et très belle, impressionnante par moments, et le dièdre en L7 m'achève presque définitivement car la seule fissure qui aurait permis d'offrir quelque prise est pleine de glace. Je parviens à m'y hisser (comment ont-ils fait il y a 60 ans ???) avec moult treuillage de la part du guide. D'ailleurs, ce sera la dernière longueur que nous pourrons faire dans la voie (il en reste deux faciles) car la neige est trop abondante et il faudrait avoir avec nous les grosses chaussures.

D'ailleurs c'est là aussi qu'on se rend compte qu'on est à près de 4000 m d'altitude : à peine le soleil faiblit-il, un froid intense et profond s'empare de moi malgré ma doudoune. Clair que c'est du sérieux ici, on arrête de jouer : au moindre problème (temps, matos insuffisant ou perdu, difficulté du rocher qui ralentit), on est très vite dans la très grosse merde... Nous descendons donc en rappel - je suis toujours aussi contente de ne pas m'y lancer en première, tellement cela continue à m'impressionner. De nouveau en bas, près du dépôt, nous rechaussons nos skis et repartons pour le refuge des Cosmiques.
On arrive à point car on y sert le dîner. Génial, ce confort dans cet environnement austère et néanmoins beau. J'ai le privilège de pouvoir dormir dans un dortoirs où il n'y a que très peu de monde, avec vue sur le soleil couchant qui illumine le sommet du Mont-Blanc de sa lumière rose-orangée, et je me dis que c'est vraiment royal.

Sauf que c'est là que les emmerdements commencent. Au milieu de la nuit, à trois heures (03.00, et oui), le réveil sonne car en circonstances normales, nous devrions repartir. Mais moi, j'ai subitement pris 30 ans pendant la nuit, que dis-je : 50 ! Je frissonne, je grelotte, j'ai un mal de crâne abo, et je monte les trois étages pour aller pisser comme une petite vieille proche d'une syncope. Impossible à démarrer la machine, je me sens littéralement malade, bien au-delà de ce qu'on ma dit allait provoquer l'altitude. Le guide est passablement hs aussi et on décide donc, la mort dans l'âme, de renoncer, au vu de mon état. On se recouche jusqu'à 7h00 en espérant que ça ira mieux. Mais 7h00, rien n'y fait, je suis toujours aussi hs, je n'avale pas un morceau, je grelotte et du coup, on décide de descendre tout doucement la Vallée Blanche, on renonçant définitivement à l'ascension de la face Nord de la Tour Ronde (3792m).

Peu à peu - et après coup je me demande comment j'ai fait - je reprends du poil de la bête sous l'effet de l'air frais, au point où j'arrive à skier presque normalement. Du coup, encouragés, on met les peaux pour s'approcher du pied de la paraoi. Là encore, ça va plutôt mieux et hop, on est partis dans la face nord! Nous avançons vite même si, à partir du resserrement du couloir au milieu qui est en glace vive, je suis complètement au taquet. C'est vraiment très physique tout cela, et quand on lit les différents commentaires sur blogs, ça a toujours l'air d'un rien... "pas engagé", "à faire et à refaire", comme si on était sur une promenade au bord de la plage. Eh ben non, il y a de longs passages où l'on ne peut pas assurer et si la cordée tombe, elle appartient au diable, c'est du certain. La dernière traversée sur glace vive est délicate, et au vu de la fatigue, mes piolets ne s'y plantent plus qu'approximativement. Heureusement je suis encordée !

Une fois sur la crête, je n'ai pas fini puisqu'il faut contourner le rocher sommital et en faire l'ascension. Tout cela en chaussures à ski et avec les crampons. Je commence à pester, signe comme quoi j'en chie un max. D'un autre côté, abandonner n'est pas un mot que je connais tant que je tiens debout. On continue donc, bien entendu, il n'y a pas le choix, et puis je l'ai tellement voulue, cette face Nord! Parfois aussi, les distances paraissent interminables, mais au fond, il n'y a plus que pour quelques minutes. C'est exactement ce qui se passe : alors que j'ai les premières larmes qui me montent aux yeux, je suis sur le sommet, ni vu, ni connu ! Une belle Madonne Noire le marque et on se claque la bise avec la guide (qui commence à bien me connaître et qui sait tempérer ;o)

A peine assis, nous voilà repartis, car nous avons somme toute 4 heures de retard sur le planning prévu initialement. Et il faut redescendre toute la Vallée Blanche pour essayer d'attraper la dernière beine de la journée qui part de Montenvers à Chamonix.

Je la fais courte, mais la dernière beine, nour l'aurions eue avec une avance d'exactement 2 min 16 secondes - si elle n'était pas déjà arrêtée depuis une demie-heure !! Donc, remontée à partir du glacier jusqu'à la station Montenvers, où de sombres cons ont fermé les chiottes afin que personne ne puisse boire un coup d'eau sans payer les restaurateurs (fermés par ailleurs). J'ai la haine car nous crêvons tous les deux de soif. Le chemin pour redescendre à Chamonix a aussi été tracé tout spécialement pour les handicapés moteurs semble-t-il, puisqu'il descend avec une inclinaison d'environ 2%. C'est in-ter-mi-na-ble !!! Le guide ne dit plus rien (il porte tout le matos !!!) et moi non plus. La soif est lancinante. Nous nous approchons tout doucement de Chamonix ou enfin ! boire devient possible. On est peu finalement - et revenir aux bases du fonctionnement physique apporte une dimension à l'existence de la meuf postmoderne que je suis qui me semble être inestimable.

Encore que - les deux bavantes furent les mesures initiales d'un épuisement qui me procurera un virus pendant 7 semaines. On naît postmoderne et on le reste !